Maître spirituel d'exception, très tôt reconnue comme la réincarnation d'une autre Tibétaine d'exception, elle enseigne un bouddhisme qui est le contraire de tout verbiage.
«Bonjour ! On m'a demandé de parler des fondements du bouddhisme... Je ne sais pas trop ce que cela signifie ! » Petite, la voix claire, le ton assuré, le regard vif, Khandro Rinpoché éclate de rire. Elle n'est assurément pas une Tibétaine ordinaire. Considérée comme un tulkou, un maître spirituel réincarné, elle est aussi un des très rares maîtres féminins du bouddhisme de rite tibétain, et même du bouddhisme dans son ensemble.
Si, d'un point de vue bouddhiste, il n'existe pas de formation particulière pour que l'on reconnaisse une quelconque maîtrise spirituelle à quelqu'un, il n'en est pas ainsi des tulkous. Supposés avoir déjà, lors de leurs vies passées, pratiqué suffisamment de techniques intérieures (méditations et yoga) et réalisé fondamentalement, au moins, ce qu'est la nature ultime de l'esprit, ceux-ci naissent porteurs d'un bagage spirituel plus ou moins important, selon le degré de pureté qui leur est reconnu. Les plus élevés spirituellement manifestent généralement les qualités propres à l'esprit dit « éveillé », c'est-à-dire libre de toute forme de concepts liés au « soi » : compassion sans discrimination, connaissance ultime, énergie... Leur vie est entièrement dédiée au bien de tous. Particularité du monde bouddhiste de rite tibétain, ces maîtres spirituels sont devenus des institutions en formant des lignées d'incarnations avec leurs monastères et leurs réseaux de bienfaiteurs.
Sourires et rires émaillent les sessions d'enseignement que Khandro Rinpoché dirige mais les sourires peuvent parfois être grimaçants. « À partir du moment où l'on se lève le matin, dit-elle, jusqu'au moment où l'on se couche le soir, on fait quantité d'actions : on bouge, on pense, on parle. Mais le soir venu, si l'on regarde dans la paume de sa main, qu'a-t-on récolté ? Quel est le bien que nous avons fait ? Voilà la question qu'il faut se poser ! » Dans sa bouche, le bouddhisme n'apparaît donc pas comme un discours mais, au contraire de tout verbiage, comme une action permanente tournée à la fois vers soi-même (que suis-je ?) et vers autrui (que puis-je apporter ?).
Systématiquement, Khandro Rinpoché renvoie à cette responsabilité de l'individu face au monde : « Vous êtes bouddhistes ? Alors qu'avez-vous fait aujourd'hui pour les autres ? », peut-on l'entendre dire. Femme, elle s'adresse à ses semblables partout où elle enseigne. Religieuse, elle porte une attention particulière aux nonnes occidentales ou tibétaines qui sont ses disciples, quitte, parfois, à leur réserver un temps d'entretien. Sexisme ? Non, simplement le rappel d'une évidence qu'elle martèle dès qu'on lui en donne l'occasion : « Quand les femmes entrent dans la communauté monastique bouddhiste, quelque part au fond d'elles, elles se disent : "Peut-être que je ne serai pas traitée avec égalité parce que je suis une femme." À cause de cette attitude, on fait une chose toute simple : quand on entre dans un temple, on se demande si l'on s'assied au premier ou au dernier rang. Celles qui ont de la fierté se disent : "Je suis une femme !" et se ruent au premier rang ; celles qui ont moins confiance en elles se dirigent immédiatement vers le dernier rang... Nous devons réfléchir à cela, examiner cette manière de penser et de se comporter. Les fondements et l'essence du bouddhisme sont au-delà de cette discrimination. » En bref, même si le contexte réserve la meilleure place aux hommes, c'est aux femmes elles-mêmes de ne pas entretenir la discrimination et de rappeler qu'elles sont avant tout des êtres humains et que le potentiel spirituel est le même pour tous.
Un ermitage au cœur de l'Himalaya
Un des problèmes que Khandro Rinpoché connaît bien est celui des limites imposées à la pratique spirituelle des femmes. En 1993, elle remet en place, en Inde, le monastère de Samten Tsé, non loin du nouveau monastère de son père, Mindröling, reconstruit à côté de Mussoorie (Uttarakhand), dans les contreforts de l'Himalaya. Le fait qu'elle dirige ce monastère ne se limite pas au symbole. Parce qu'elle le veut ainsi, Samten Tsé est d'abord un ermitage ouvert à toutes les pratiquantes bouddhistes désireuses d'y faire des retraites spirituelles de manière, à terme, à créer une communauté de religieuses et de laïques, asiatiques et occidentales. Sous son impulsion, Samten Tsé est un lieu où les femmes peuvent accéder aux mêmes enseignements que les hommes, et comme eux, les mettre en pratique dans des conditions optimales.
Si le discours de Khandro Rinpoché s'inscrit dans la tradition des maîtres féminins du bouddhisme tibétain, il n'est plus confiné à leur entourage ou aux quelques vallées qui bordent leurs monastères ou leurs ermitages. Le modernisme et les moyens de communication permettent aujourd'hui à ce maître spirituel de porter haut et clair à travers le monde les principes d'égalité du bouddhisme.
Source : Le Monde des Regligions No 27 :
Article par Deshayes Laurent
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