La Vénérable Jiyu Kennett d’origine anglaise est la fondatrice aux Etats-Unis de l’ordre des Bouddhistes contemplatifs dans la tradition soto du Zen. Elle se rendit au Japon dans les années soixante, après avoir rencontré à Londres un maitre zen qui l’invita à venir se former dans son monastère. Elle découvrit qu’elle y était la seule femme postulante et de surcroît, la seule étrangère. Aussi lui fallut-il faire preuve d’une détermination hors du commun pour surmonter tous les obstacles qui l’attendaient. Finalement, elle obtint la pleine ordination et un temple où elle assuma pleinement son rôle de prêtre, temple qui devint, selon la coutume au Japon, son bien propre qu’elle pouvait transmettre.
Alors que Tenzin Palmo médita pendant des années dans une complète solitude, c’est dans un grand monastère où elle n’était jamais vraiment seule que se déroula le cheminement spirituel de Jiyu Kennett. L’une affronta la rigueur du froid, la solitude de la grotte, l’autre se trouva confronté à des préjugés, à des mesquineries, à des méchancetés même. Mais, au bout du compte, c’est leur sincérité qui les a mené à des expériences spirituelles qui leur ont permis de parler avec autorité en la matière.
Lorsque Tenzin Palmo est revenu en Occident, elle a découvert la tradition mystique chrétienne et elle a constaté la similitude avec sa propre expérience. Jiyu Kennett elle aussi, après avoir connu ce que le zen appelle un « Kensho », l’illumination, a compris que la Nature-de-bouddha n’est que l’autre nom de l’Eternel, ainsi qu’elle l’appelle. C’est pourquoi elle a choisi de nommer la fondation qu’elle a créé aux Etats-Unis: l’ordre des bouddhistes contemplatifs.
La santé de la Vénérable Jiyu Kennett a été irrémédiablement altérée lors de son séjour au Japon. Elle y a gagné cinquante kilos en très peu de temps, probablement à cause d’un début de diabète et a connu des complications suite à l’opération tardive d’une tumeur qui avait échappé aux médecins japonais en raison de sa trop grande taille. Elle a quitté ce monde en 1996, à l’âge de soixante-douze ans.
Extraits de l’interview de la Vénérable Jiyu Kennett dans « Meeting with remarkable women » de Leonore Friedman (voir livres)
- « Dans votre ouvrage « How to grow a Lotus Blossom », il y a un sentiment très fort que ce qui a compté le plus pour vous dans votre vie c’est :
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- Connaître l’Eternel
- C’est cela, être un moine, Connaître l’Eternel et l’enseigner à ceux qui veulent savoir. Et vous insistez sur le fait de ne pas faire d’erreur, de devenir parfaite. Qu’est-ce que vous voulez dire exactement ? Est-ce que cela a un rapport avec les préceptes, avec la morale ?
- ça a à voir avec le fait de regarder toute chose que l’on fait en se posant trois questions : premièrement, est-ce que j’agis par ignorance, si oui, c’est mal. Si je peux répondre par la négative à cette question, je peux me poser la suivante : Suis-je en train d’agir pour le bien ? Si je peux dire oui à cette question, je vais à la troisième. Est-ce que c’est pour mon bien ou pour celui des autres ? En d’autres termes est-ce que ce que je m’apprête à faire va avoir pour cause que d’autres agissent de façon erronée ? Et si je peux dire non à cette question, alors je peux faire ce que je m’apprête à faire.
- Vous parlez de pureté ?
- Les choses doivent être faites sous cet angle. Personne ne va vous dire ce que vous devez faire ou non. Vous-même vous devez veiller à ce que vous êtes en train de faire. De quelle manière puis-je faire le moins de mal possible ? Et accepter d’en assumer les conséquences. De toute façon, on est obligé d’agir.
Des gens viennent me dire : qu’est-ce que le Bouddhisme dit à propos du pacifisme ? et ma réponse est : Si vous allez dans l’armée, vous devrez tuer. Et il y aura des conséquences. Si vous êtes un pacifiste, la loi de ce pays dit que vous irez en prison. S’il s’agit d’une guerre comme la seconde guerre mondiale, durant laquelle des millions de gens ont été tués, qu’est-ce que votre conscience vous dicte ? Il n’y pas de Sauveur qui peut vous dire : « tu ne dois pas », la seule personne qui peut faire cela, c’est vous-même. Et quel que soit votre choix, vous devrez en assumer les conséquences. Et c’est pour cela que je dis aux gens que le Bouddhisme n’est pas pacifiste. « Oh, vous êtes belliqueuse ! » Non, je ne suis pas belliqueuse non plus.
- Le bouddhisme est souvent ni ceci, ni cela
- Il s’agit d’une troisième position, qui signifie que vous devez devenir un véritable adulte. C’est une religion pour adultes spirituels, pas pour des enfants spirituels avec un père fouettard et un gros bâton.
- à un autre endroit, vous dites que le Bouddhisme est souvent regardé comme une façon de vivre et non comme une religion.
- ce qui est en contradiction avec la plus vieille des écritures du canon Pali, le sutra Uddhana, dans lequel le Bouddha déclare (à propos de la troisième position, comme je l’appelle, entre bien et mal) « O moines, il y a un non-né non-mort, non changeant, non créé, si cela n’était pas, il n’y aurait aucune raison pour vivre ou pour apprendre ». Le Bouddhisme dit ce que l’Eternel n’est pas (j’utilise le terme Eternel plutôt que Dieu. Dieu évoque une déité avec une barbe et un long bâton). Il ne dit pas ce qu’Il est car sinon on resterait englué dans un concept. Le Bouddhisme ne dit que ce que nous savons comme certain, il ne dit pas ce qui repose sur la foi. Nous devons trouver cela par nous mêmes « cela qui est non né etc.. « mais nous ne pouvons pas dire ce que c’est. Par conséquent, nous l’appelons Mu ou « Rien » ou « Vacuité » ou, comme mon maître l’appelait : « L’état immaculé de la Vacuité », ce qui la meilleure description que j’ai jamais rencontrée. Aussi, le bouddhisme n’est définitivement pas irréligieux, c’est tout à fait une religion. ».(...)
Les femmes venaient juste d’obtenir le droit de vote en Angleterre quand Peg Kennett, âgée de cinq ans commença d’aller à l’école. C’était une école privée très snob, très chère, pour des enfants de riches. Mais ses enseignantes étaient très largement des suffragettes militantes, qui n’avaient pas hésité à s’enchaîner à des rails pour faire entendre leurs demandes pour l’égalité des droits. A présent, fortes de leur victoire, elles ne perdaient pas de temps pour inculquer à leurs jeunes brebis l’absolue conviction qu’elles pouvaient faire ou devenir tout ce dont elles rêvaient. « Vous devez savoir ce que nous avons fait » disaient-elles « Nous avons lutté pour vous, pour vos droit. Maintenant, vous devez préserver ces droits ». Le message de toute l’école était clair : « Vous n’êtes pas inférieures, vous êtes tout sauf de deuxième classe »
La petite fille qui se nommerait Roshi Kennett, abbesse de Shasta Abbey, apprit bien la leçon. Et ce qu’elle voulait devenir, c’était moine. (...)
Après avoir terminé des études musicales universitaires, Peg Kennett travailla comme organiste dans une église. Elle était surqualifiée, mais elle était aussi une femme et l’Eglise Anglicane n’avait pas le même état d’esprit que ses professeurs. Finalement, elle trouva une église si pauvre qu’ils ne pouvaient pas se payer un organiste homme. Après y avoir travaillé pendant dix ans et de façon brillante, elle fut informée qu’ils avaient trouvé un homme qui acceptait de travailler pour « la misérable pitance qu’ils me donnaient. Je fus jeté dehors, après dix ans, parce que j’étais une femme »
Des années plus tard, dans un écrit sur les femmes et le bouddhisme publié par Shasta Abbey, elle écrivait : « voilà la situation dans laquelle les femmes ont été depuis des siècles, voilà la situation qui nécessite d’être changée. Je ne peux vous décrire le dégât que cela a causé en moi. Toutefois, il en est sorti quelque chose de bon. Cela m’a renvoyé étudier vers ma religion originelle, le Bouddhisme, cela m’a conduit vers l’Extrême Orient, permettant que je découvre que j’étais capable. Au début, je regardais dans la mauvaise direction ; je cherchais l’égalité dans le travail au lieu de réaliser que la véritable égalité vient de l’intérieur. Je cherchais à l’extérieur une reconnaissance au lieu de réaliser que je devais d’abord me reconnaître comme complète.
Une fois que l’on connaît sa propre perfection, sa propre Nature de Bouddha, sa propre âme, la question d’être compétente ou non ne se pose plus, et cela n’a plus aucune importance. Que l’on berce un enfant, que l’on extrait du charbon dans une mine ou que l’on soit homme de loi ou médecin, tout travail est égal dans l’Esprit de Bouddha, tout travail est celui d’un Bouddha. »
La seule raison pour laquelle elle s’écarta du Christianisme, me dit Roshi Kennett, fut cet appel intérieur si profond de devenir un prêtre. Et pour une femme, « il n’y avait aucun moyen de devenir prêtre dans le christianisme. » C’est le sexisme de l’Eglise Anglicane qui la poussa à couper ses liens avec le christianisme et à devenir finalement moine dans un pays étranger, dans une religion étrangère, dans une langue étrangère.
Ce ne fut pas chose facile. L’histoire est contée en détail dans les deux volumes de son autobiographie : The Wild White Goose. Elle rapporte de très dures épreuves pour l’esprit et le corps, y compris malnutrition, ostracisme, maladie ainsi que sa réalisation de l’essence de l’expérience religieuse qui transcende les mots, les étiquettes, les dénominations. Peg Kennett trouva ce pour quoi elle avait quitté l’Angleterre et le Christianisme. Quelles que soient les difficultés qu’elle ait pu connaître au Japon, elle fut inspirée et aidée par des mots des Ecritures bouddhistes comme ceux ci : « Une petite fille de sept ans peut même être l’enseignant des quatre classes de Bouddhas et la mère d’une vraie compassion envers tous les êtres vivants. »
L’un des plus grands enseignement du Bouddhisme est son insistance sur l’égalité complète des sexes. Ce passage ci-dessus est extrait du Shobogenzo, traité écrit par Dogen-zenji, un Maitre Zen du 13ème siècle lui fut montré par son mentor japonais, chef abbé de l’un des temples majeurs du Japon, tandis qu’elle était encore postulante. « C’est pourquoi j’ai pu supporter toute cette idiotie au Japon, dit-elle. Cela m’est égal que certains se conduisent comme des idiots, tant que les plus grands affirment la vérité de cette égalité, je les crois. C’est là dessus que j’ai basé ma foi, j’ai gardé mon attention sur ceux qui comptaient et non sur les idiots. Il y en a toujours, et il y en aura toujours. Mais plus les églises disent que les femmes sont égales, moins vulnérables nous serons. Du moment que les églises affirment notre égalité, le reste du monde ne compte pas. Et comme le reste du monde ne compte pas, cette égalité viendra. Tant que nous savons que nous avons des droits inaliénables, on devra d’une façon ou d’une autre nous les accorder. »
La question de l’Egalité des Droits dit-elle n’est pas à propos de qui fait le travail mais « qui a une âme et qui n’en a pas », c’est la spiritualité des femmes qui est au coeur de cela. Aucune femme ne sera certaine, absolument, qu’elle est « égale » jusqu’à ce qu’elle connaisse avec la certitude que j’ai moi-même que sa propre Nature de Bouddha, ou sa propre âme existe. »
Source : Bouddhisme Au Feminin
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