dimanche 13 décembre 2015

2 - Les femmes luttent pour la planete : La nonne et le fleuve Nakdong



Accroupie sur la grève, elle laisse l’eau couler dans sa main, puis prend une poignée de sable dont le courant emporte peu à peu les grains. En cet endroit, à 200 kilomètres au sud-est de Séoul, le fleuve Nakdong, au cours lent et majestueux, fait une large courbe : tandis qu’il se heurte sur sa rive droite à des collines boisées, de l’autre, s’étend une longue grève de sable blanc. Par endroits, des îlots parsèment le fleuve que l’on gagne à pied tant le courant d’eau est faible.


Le visage basané en dépit de son large chapeau de paille de paysanne, frêle et menue dans son habit de nonne, gris clair à la couleur passée, Jiyul arpente chaque jour les rives du fleuve et leurs environs armée d’un appareil photographique. Elle collectionne les clichés et prend des notes afin de montrer ce qui est en train de disparaître : l’écosystème du plus long fleuve de la Corée, Nakdong qui prend sa source au mont Taebaek et coule sur 330 kilomètres vers le sud pour se jeter dans la mer, près de Pusan.


Comme les trois autres grands fleuves du pays, Nakdong est l’objet de titanesques travaux de réaménagement qui rencontrent une vive opposition des écologistes, des mouvements de citoyens et des organisations religieuses. Le pouvoir politique n’en tient aucun compte.


Au mois de mai, en aval du fleuve, non loin du temple Jibosa, le moine Moon-su s’est immolé par le feu, demandant l’arrêt de ce projet. C’était la première fois dans l’histoire du bouddhisme coréen qu’un bonze se donnait ainsi la mort. "Ce n’est pas un suicide mais un don de soi en signe de compassion : quand son corps fut retrouvé, il avait l’air calme, les mains jointes", commente le vénérable Ji Gwon de Chogye, la plus grande secte bouddhique, "Je le comprends", dit Jiyul, le regard emporté par le courant à l’évocation du sacrifice du bonze.


Dans le calme de la tombée du jour, on entend encore au loin le bruit des excavatrices et des bulldozers : ils creusent la grève sur six mètres de profondeur, bouleverse en certains endroits le cours sinueux du fleuve pour le rendre rectiligne. "Le gouvernement parle de croissance verte... quelle ironie !", dit Jiyul. "Les paysans ont été dédommagés pour trois ans et, à la campagne ; les gens n’ont pas l’habitude de résister au pouvoir", ajoute-t-elle.


Au départ, Jiuyl n’a pas été bien accueillie dans le village de Chungdong, perdu au milieu de rizières, de vergers à kakis et d’élevages de vers à soie. Par sa calme détermination, la frêle Jiyul, âgée d’une cinquantaine d’années, est une figure "encombrante". Peu à peu, elle a été acceptée.


Elle habite une maison branlante qui était inoccupée. "Je suis heureuse ici : le soir, je regarde les étoiles et, le matin, je suis réveillée par les oiseaux qui se posent sur les tuiles du toit." Dès l’aube, elle part en bicyclette vers le fleuve. Elle sort alors de sa réserve, s’anime, s’émerveille comme une enfant de ses trouvailles : coquillages, traces d’animal laissées sur le sable qu’elle caresse inlassablement de la main pendant qu’elle parle, assise les jambes en tailleur. La conversation continue, les pieds dans l’eau, en remontant le courant.


Jiyul se dérobe aux questions sur sa vie. "C’est n’est pas moi qui suis importante : c’est le fleuve", dit-elle. Pendant de longues années, elle fut cloîtrée dans un monastère. Un jour, en 2001, marchant dans la forêt, elle aperçut des engins qu’elle n’avait jamais vus qui creusaient et abattaient les arbres : "C’était comme un paysage de guerre et une immense tristesse m’a envahie. J’ai ressenti une sorte d’appel au secours de ces arbres, de cette terre que l’on torturait." Elle quitta son monastère et commença son combat.


Longues marches à pied travers le pays, sit-in, grèves de la faim, procès contre l’Etat : Jiyul a multiplié les actions. "Quand j’ai quitté le monastère j’étais naïve. Je ne connaissais rien du monde. J’ignorais ce qu’était devenue la société. J’ai pris peu à peu conscience que la loi n’est pas faite pour les faibles et que lutter sur ce terrain est vain." Les grèves de la faim ? "Je ne me suis jamais posé la question de savoir si elles étaient efficaces ou non : je n’y suis lancée avec toute mon énergie." La dernière faillit lui coûter la vie et elle est partie ensuite vivre pendant trois ans dans une cabane isolée de montagne : "Ce face-à-face avec la nature est le plus beau moment de ma vie. Les sens deviennent plus aiguisés : on se fond dans le vent. On se nourrit de brouillard."


Pourquoi être revenue dans la société ? "Parce que ce qui se passe est injuste : nous sommes en train de meurtrir la nature. Il faut faire savoir aux gens les choix devant lesquels ils sont placés avec ces travaux. Je voudrais donner mes yeux à ceux qui restent aveugles à ce qui se passe ici. Ce fleuve a mis des siècles à faire son lit, à dessiner des méandres et l’on veut bouleverser ce travail millénaire en deux ans : point n’est besoin d’être scientifique pour comprendre que cette précipitation provoquera des dégâts immenses. Notre pays n’a jamais eu la moindre réflexion sur ces cinquante dernières années : certes, on a produit de la richesse mais le progrès matériel n’est pas une fin en soi. Je suis ici comme un parent au chevet d’un malade : on ne se pose pas la question de savoir s’il survivra ou non. On est à ses côtés pour l’assister."


Source :  Buddhachannel South Korea

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