J’étais passionnée d’écriture, de littérature, et de langues, et j’étais également bonne en sport et en musique – une complète réussite classique. Cependant, l’attitude compétitive qu’on m’encourageait à avoir, couplée à ma personnalité plutôt introvertie, ne m’attira que peu d’amis proches. En plus, être anglaise ne me facilita pas l’intégration à la culture américaine. Enfin, lorsque j’ai eu 18 ans, j’ai pu fuir les limites de la banlieue en allant à Harvard pour y poursuivre des études d'Anglais. J’adorais cela - étudier, écrire, et diriger une compagnie de danse moderne. Je commençai à découvrir qui j’étais, et même si je manquais de la confiance que semblaient avoir tant de mes camarades, je commençai peu à peu, à sortir de ma coquille. J’avais même un petit ami – un jeune homme naturel, charmant d’un an mon aîné, qui était passionné de théâtre. Il était chrétien pratiquant, mais cela ne posait pas trop de problèmes, tant que nous ne nous disions pas à quel point la croyance de l’autre était complètement illusoire et fausse. Cette relation prit finalement fin mais, après avoir obtenu mon diplôme et accepté un poste au Carnegie Hall, je commençai à m’avouer que je ne trouvais plus adéquate la domination de mon athéisme agressif sur ma vie. Il m’était toujours impossible de croire en Dieu, mais je devins peu à peu consciente qu’il y avait d’autres approches, non théistes de la spiritualité dans la vie. Je commençai le hatha yoga, et fut ensuite introduite à la méditation zen par un collègue. J’eus un déclic, quittai mon poste et retournai en Angleterre pour reprendre des études à Oxford. Je continuais à pratiquer avec un groupe local affilié à l’Association du Zen International, basé en France.
Ayant vécu précédemment une vie orientée sur les objectifs et le succès, m’asseoir en méditation et simplement observer mon état d’être était une nouvelle expérience. Alors que j’examinais mes idéaux, en particulier la validation que je recherchais à travers un travail difficile et acharné, je les trouvai vides, un à un, ils s’évanouissaient. Je réalisai qu’il y avait des choses plus importantes qu’escalader l’échelle de la carrière à n’importe quel prix. Bien que ce fût une expérience libératrice, ce fut aussi incroyablement effrayant à cette époque. Je devais revoir mon approche de la vie, et ce faisant, admettre que, selon mes anciens standards, je me sentais en échec. Au lieu d’avoir un travail bien payé, suivi d’un mariage, une maison et des enfants, j’étais en lutte pour joindre les deux bouts alors que je m’efforçais de mener une existence d’enseignante non diplomée, et de finir mon doctorat en même temps. Puis, alors que cinq années de travail intense arrivaient à leur fin, mes superviseurs décidèrent qu’ils ne voulaient plus m’aider avec les révisions recommandées par les examinateurs, j’ai donc dû passer à autre chose. Sans doctorat, la carrière académique pour laquelle j’avais travaillée était impossible. Après avoir vécu toute une palette d’émotions, être devenue physiquement malade, je décidai d’utiliser l’expérience d’enseignement que j’avais eu à l’université pour aller dans l’enseignement du secondaire. Je continuai de méditer avec le groupe zen et de participer aux sesshins (retraites) à la fois au Royaume Uni et en France.
En France, j’ai rencontré un maître zen (un pratiquant qui a reçu la permission d’enseigner), et sous sa direction, je fis l’engagement formel de suivre la Voie du zen. Contrairement au Japon, où les moines et nonnes zen sont soutenus par l’Etat, les Européens qui font cet engagement continuent de vivre et travailler dans la société comme ils le faisaient auparavant. Pour moi, la décision de demander l’ordination de nonne vint naturellement. Cela m’a juste semblé être la chose juste à faire ; cela était logique. La vie commençait à se dérouler naturellement. La cérémonie eut lieu dans le petit dojo (hall de méditation) de mon maître près de Tours, en France, lors d’une belle matinée d’été l’année dernière. J’ai reçu un kolomo (un kimono doté de très longues manches) noir à porter sur mon kimono blanc, ainsi qu’un kesa (un rectangle de tissu drapant le corps et l’épaule gauche en méditation) noir et le rakusu (un kesa miniature en forme de petit tablier) que j’avais cousu moi-même. On m’a donné un document traçant ma lignée à partir du Bouddha Shakyamuni, un bol pour mes repas, et un nom de nonne qui ne serait utilisé qu’après ma mort. Je pleurais durant la cérémonie, mais l’air de mon visage sur la photo officielle en dit long : assise près de mon maître je parais émotive, presque bouleversée, mais soulagée et heureuse.
Près d’un an est passé depuis lors et les réactions des gens à mon ordination ont été variées. Ma mère se montra curieuse et un soutien, alors que mon père n'en a pas parlé ; je n’ai aucune idée de son opinion, à part qu’il ne me désapprouve pas. Je pense qu’il voit que je suis plus heureuse à présent, ce qui lui suffit. Parce que je suis maintenant enseignante, que je ne me rase pas le crâne et ne porte le kolomo et le kesa seulement pour la méditation, je ne parais pas différente des passants que vous voyez dans la rue. Lorsque la plupart des gens entendent le mot nonne, ils pensent aux nonnes catholiques.
Très souvent, leur première question concerne le pourquoi de l’abandon définitif de l’acte sexuel. Formulé de cette manière, le sexe est similaire à la cigarette ou la boisson : un acte d’auto gratification de consommation de plaisir. Si une personne comprend le sexe d’une manière si égoïste, et dépourvue d’amour, alors je suppose que oui, j’ai « renoncé ». L’un des vœux que j’ai faits quand j’ai été ordonnée, a trait au sexe, et stipule qu’on ne doit pas utiliser sa sexualité d’une manière offensante. Ce n’est pas ce que l’on fait toutefois, mais la manière dont on le fait : utiliser quelqu’un comme une marchandise pour sa propre satisfaction est très offensant considéré sous cet éclairage. Peu après mon ordination, j’ai rencontré un homme avec qui je partage maintenant une relation basée sur la confiance et le respect mutuel.
Nombre de mes étudiants adolescents savent que je suis nonne, et leurs réactions me fascinent. Ils sont ouvertement curieux de ce que signifie être bouddhiste, et nonne et bien sûr, me questionner dessus prend beaucoup de temps sur les leçons. Une question qui revient assez souvent est si je crois en Dieu, mais je ne suis pas sûre qu’ils comprendraient si je leur disais que l’idée d’un dieu abrahamique n’a pas sa place dans le bouddhisme. D’autres fois, ils me demandent comment je médite. Ils placent leurs mains dans ce qu’ils pensent être une position yogique, ferment les yeux dans un : «Ohmmm ». Je trouve leurs idées préconçues amusantes, et ils ne veulent pas me croire lorsque je leur dis la vérité : que nous nous asseyons en silence et ne bougeons pas ni n’émettons un son, et ce jusqu’à six fois par jour. Je pense qu’il doit être plutôt étrange pour eux de se trouver face à quelqu’un qui a pris un engagement religieux si fort. Quelques uns supposent que je vis comme une puritaine, et sont surpris quand je leur dis que je bois de l’alcool et mange de la viande. « Suivre la Voie du bouddhisme zen est simple, mais pas facile » Mon statut de nonne favorise un dialogue entre mes étudiants et moi mais je pense parfois qu’il nous sépare. De nos jours, les étudiants pensent que pour réussir dans la vie, ils doivent s’efforcer d’obtenir de bons résultats, sans se soucier de savoir si l’apprentissage académique est bon pour eux.
Je me sens triste face au stress que ressentent mes étudiants lors des examens, et je me souviens de ces mots d’un maître zen qui disait qu’ « être adéquate » est suffisant dans la vie. Après mon ordination, mon maître me dit que l’année suivante, mon karma bougerait plus vite, et je me vis faire quelques changements dans ma vie, en particulier en terme de trajectoire de carrière. Je trouve l’équilibre, au fur et à mesure. Un dicton dit que suivre la Voie du bouddhisme zen est simple, mais pas facile. Cela demande un effort qu’il faut renouveler chaque jour. Lorsque les choses commencent à être oppressantes, je me souviens du poème écrit à l’encre noire sur la soie blanche qui borde mon rakusu : « Avec mon kesa et mon crâne rasé, je suis libre ». La simple vérité de ces mots m’inspireront, je l’espère, toujours.
Source : Article paru dans Le Guardian - traduit par Buddha Channel
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire