Toni Packer ne se décrivait pas comme bouddhiste,
elle avait laissé derrière elle les rituels, les croyances et la
hiérarchie traditionnels du Zen. Mais elle a dédié sa vie à
l’exploration de la voie vers l’éveil.
Toni Packer était une perle rare. Je n’ai jamais
rencontré un être humain plus sensible et plus tendre qu’elle. Elle
était intensément passionnée par ce qu’elle appelait « le travail de
l’instant présent, » qu’elle décrivait comme « une sorte d’écoute et
d’ouverture profondes qui révèlent le pouvoir intense et le dynamisme de
notre condition humaine, » parallèlement à la découverte d’un «
silence—immobilité – espace interne/externe, dans lequel il n’y a aucun
sens de séparation ou de limitation, intérieure ou extérieure. »
Toni était perspicace et s’exprimait d’une manière
qui coupait à travers toutes les formes d’auto-illusion avec une clarté
et une simplicité remarquables. Elle aimait écouter et regarder sans
réponse ou formule, sans besoin de validation d’une autorité du passé.
Tout ce qu’elle disait était frais parce qu’elle écrivait et parlait
toujours à partir d’un état d’écoute plein de vitalité. Cette présence
écoutante était au cœur de ses enseignements et de son travail.
Née en 1927, Toni, qui était à moitié juive, a grandi
dans l’Allemagne d’Hitler. Apparemment, à cause de la prestigieuse
carrière scientifique de son père, la famille a été épargnée par
l’Holocauste, au moins jusqu’aux tous derniers instants. Mais si la
guerre avait continué plus longtemps, ils auraient probablement été
conduits vers les camps de la mort. Toni se rappelait clairement des
raids aériens durant la guerre, des bombes qui tombaient à proximité,
des immeubles en feu et de son père – qu’elle adorait – recroquevillé de
terreur dans l’abri. Elle disait souvent que sa rencontre avec la
profondeur de l’horreur générée par les hommes avait été le point de
départ de sa recherche spirituelle.
Après la guerre, Toni a émigré en Suisse, où elle est
tombée amoureuse d’un jeune objecteur de conscience appelé Kyle Packer.
Le couple s’est marié et s’est finalement installé près de Buffalo, New
York, où Kyle est devenu chef d’un établissement scolaire. Ils ont
adopté un fils et, à la fin des années 60, Toni et Kyle ont commencé à
pratiqué au Rochester Zen Center. Toni a rapidement grimpé les échelons
et on lui a demandé de prendre la direction du centre lorsque son
enseignant est parti à la retraite. Mais à l’époque, Toni remettait déjà
en question la voie traditionnelle et avait découvert J. Krishnamurti
dont la manière de voir les choses et le questionnement concordaient
avec les siens. Finalement, en 1981, Toni a quitté le Rochester Zen
Center et avec un certain nombre de ses étudiants, a fondé le Genesee
Valley Zen Center. Ils ont acheté un terrain dans la campagne de
Springwater, New York, à environ une heure au sud de Rochester, ont
construit un centre de retraite à partir de rien et peu de temps après
le nom a changé pour simplement devenir Springwater Center.
Toutes les formalités traditionnelles du Zen qui
semblaient entraver la voie d’une écoute et d’une attention ouvertes ont
été progressivement abandonnées et même si elle donnait des
enseignements et conduisait des retraites, Toni se décrivait plus comme
une amie que comme un maître. Durant les séances assises vous pouviez
vous asseoir aussi bien dans des fauteuils ordinaires ou inclinables que
sur des coussins de méditation et les discussions ouvertes en groupe
faisaient partie de chaque retraite. Il n’y avait aucun rituel ou
cérémonie, le jargon et la terminologie bouddhistes étaient remplacés
par un langage séculier ordinaire et il n’y avait aucune pratique
formelle dans le sens méthodologique habituel.
L’accent était mis sur la conscience, le
questionnement, regarder et écouter, être attentif au moment présent,
dévoiler et voir à travers les fausses séparations qui semblent nous
diviser et nous mettre sous cloche – les images de nous-mêmes que nous
protégeons et défendons, les manières que nous avons de nous identifier à
certains groupes plutôt qu’à d’autres. Toni remettait tout en question
avec l’esprit ouvert et rigoureux d’un scientifique. Elle ne se
contentait jamais des conclusions de la veille ou n’arrêtait jamais de
regarder les choses avec un œil nouveau. Elle nous invitait à regarder
plus profondément dans notre souffrance humaine (colère, peur,
dépendances, compulsions, quelle qu’elle soit) et à tout observer avec
une curiosité et un intérêt dépourvus de jugement.
Pendant des décennies, Toni a dirigé environ huit
retraites par an à Springwater et plusieurs autres chaque année en
Europe et en Californie. Elle rencontrait les gens individuellement et
ne manquait jamais de répondre aux lettres, elle écrivait des livres,
était membre du conseil de surveillance et remplissait les fonctions de
directrice du Centre. Elle travaillait sans relâche.
La souffrance n’était pas étrangère à Toni. Après le
décès de Kyle, en 1999, Toni a été embarquée dans une descente de
quatorze ans de douleurs chroniques sévères et de perte de mobilité
croissante. Elle est devenue grabataire durant les dernières années de
sa vie. Cela a été le genre de fin que la plupart d’entre nous
appréhendent – perdre graduellement sa capacité à faire tout ce que vous
aimez et tout ce qui vous a défini, être dépendant des autres, souffrir
physiquement. C’est un bon rappel du fait qu’être éveillé ne signifie
pas que vous allez vivre dans une béatitude permanente.
L’esprit veut habituellement des réponses
rassurantes, qui lui feront se sentir bien, mais au lieu de cela Toni
posait des questions. Elle nous invitait à vivre chaque moment tel qu’il
était : « Peu importe l’état qui se présente à ce moment, peut-il n’y
avoir que ça? Pas un mouvement plus loin, une échappatoire dans quelque
chose qui va nous procurer ce que cet état ne nous procure pas ou ne
semble pas nous procurer : énergie, entrain, inspiration, joie, bonheur,
n’importe quoi. Seulement complètement, inconditionnellement écouter ce
qui se passe maintenant, est-ce possible ? »
JOAN TOLLIFSON a fait partie de l’équipe de Toni Packer au Centre de Springwater durant cinq ans.
Source : le magazine - enseignantes célébrées
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