mercredi 26 janvier 2011

La fondation de l’ordre des nonnes

Grâce à Ananda, disciple et cousin du Bouddha auprès de qui il plaida leur cause, les femmes purent entrer dans la vie monastique. Mais de dures règles de discipline leur furent imposées pour devenir nonnes.
Alors qu’il était encore à Vesali, on prétend que le Bouddha apprit que son père Suddhodana était en train de mourir à Kapilavatthu. Afin de le rejoindre avant sa mort, le Maitre vola dans les airs jusqu’à Kapilavatthu et arriva juste à temps pour lui délivrer un sermon par lequel Suddhodana devint illuminé, de sorte que le vieux raja entra dans le Nibbana sur son lit de mort. Telle est l’histoire légendaire selon un commentateur.
La vérité historique est que Suddhodana mourut dans la seconde moitié de l’année 524 av. J.-C. et que Siddhatta revisita sa ville natale en 523, alors que Suddhodana était depuis longtemps incinéré et qu’un nouveau raja était élu. On ne dit nulle part dans le canon que ce nouveau raja était un membre de la famille Cotama.
C’est probablement au cours de cette seconde visite à Kapilavatthu que le Bouddha agit comme médiateur dans un conflit sur l’usage de l’eau du fleuve Rohini. Le Rohini (maintenant Rowai) fermait la frontière entre la république Shakya et le territoire tribal des Koliya et était interrompu par un barrage bâti conjointement par les Shakya et les Koliya, dont ils tiraient l’eau pour irriguer leurs champs. Lorsqu’en mai-juin 523, le niveau de l’eau fut si bas qu’il suffisait seulement à l’irrigation d’une des deux rives, une querelle éclata entre les laboureurs shakya et koliya. Les insultes pleuvaient et un combat - le texte dit une " guerre " - semblait inévitable. Alors le Bouddha s’interposa entre les deux fronts comme médiateur. Sa renommée d’"illuminé", sa position d’intime du roi Pasenadi, dont les Shakya et les kohya étaient également les sujets, et son éloquence produisirent un miracle à peine imaginable. Usant de l’argument que l’eau était de moindre valeur que les vies humaines, il parvint à éviter le bain de sang et à calmer la colère des opposants (Jat 536).
A l’occasion de cette visite du Bouddha à Kapilavatthu, sa mère nourricière Mahapajapati vint à lui avec une proposition qu’il trouva extrêmement malvenue et pesante. Depuis la renonciation de Siddhatta, de Rahula et de son fils Nanda, elle n’avait plus personne dont s’occuper si ce n’est sa fille Sundarinanda. Après la mort de Suddhodana elle n’eut plus de devoirs domestiques et se tourna donc, à un âge avancé, vers la religion. Un jour elle chercha le Bouddha dans le bois Nigrodha en dehors de la ville et lui dit : " Cela serait bien si les femmes aussi pouvaient s’engager dans la vie sans demeure (c’est-à-dire comme nonnes) selon le Dhamma que tu proclames. " Le Bouddha fut évasif et négatif et demeura sur son refus même quand Mahapajapati réitéra sa demande. En larmes à cause de ce refus, qu’elle interpréta comme une ingratitude ordinaire, Mahapajapati retourna à Kapilavatthu (Cv 10, 1, 1).
Un peu plus tard, le Bouddha quitta sa ville natale et, par des étapes faciles, atteignit la capitale Licchavi, Vesali, où il s’installa, comme l’année précédente, dans le hall à pignons.
pendant ce temps, Mahajapati avait repris courage, coupe sa chevelure, la robe jaune comme moine et suivi les traces du Bouddha, accompagnée de quelques femmes shakya. Les pieds enflés et couverts de poussière, elle arriva à Vesali, où Ananda la vit alors qu’elle approchait du hall à pignons. Les larmes aux yeux elle confia à Ananda son voeu que le Maître permît la fondation d’un ordre de nonnes (10, 1, 2).
EIle ne pouvait trouver avocat plus compétent. Emu, Ananda transmit le plus cher de Mahapajapati au Buddha, qui de nouveau refusa. Alors Ananda commença à défendre le cas :
" Seigneur, des femmes qui s’engageraient dans la vie sans demeure selon ton Dhamma et ta discipline pourraient-elles atteindre la perfection (c’est-à-dire l’illumination) ?
Oui, Ananda.
Seigneur, puisqu’elles en ont sont capables et puisque Mahajapati Gotami t’a rendu grand service, à la fois comme tante du Bienheureux et aussi, après la mort de ta vraie mère, comme seconde mère, gardienne et nourrice, pour cette raison même ce serait bien si tu permettais aux femmes d’entrer dans la vie sans demeure selon ton Dhamma et ta discipline.
Ananda, si Mahapajapati promet d’observer huit règles supentaires, que cela lui tienne lieu d’ordination.
Il énonça à Ananda les huit points, tous visant à subordonner les nonnes (bhikkhni ) aux moines. (1) Même une nonne anciennement ordonnée se rangeait derrière le plus récent moine et devait le saluer respectueusement. Apprenant d’Ananda les huit points, Mahapajapati consentit aux conditions et fut ainsi ordonnée comme la première bhikkhani du Sangha bouddhiste.
Le Bouddha n’avait pas consenti de son plein gré à la fondation de l’ordre des nonnes ; seule la contrainte morale d’accéder au désir de sa mère nourricière l’avait induit à abandonner son refus initial. Ce qu’il pensait de l’ordre des nonnes apparaît dans ce qu’il dit à Ananda lorsque ce dernier lui fit part de l’accord de Mahapajapati sur les huit points :
" Ananda, si les femmes n’avaient pas obtenu (le droit) d’entrer dans la vie sans demeure selon ce Dhamma et cette discipline, la vie sainte aurait duré longtemps, le véritable Dhamma aurait duré mille ans. Mais maintenant que les femmes ont ce droit, la vie sainte ne durera pas longtemps, le véritable Dhamma ne durera que cinq cents ans.
" Les maisons avec beaucoup de femmes et peu d’hommes sont une proie facile aux brigands et aux voleurs de trésors familiaux (et il en va de même d’un ordre où les femmes sont admises). Tout comme un champ de riz avec la brunissure et un champ de cannes à sucre attaqué par la rouille périssent (de même un ordre où il y a des nonnes). Tout comme un homme qui bâtit une digue pour la construction d’un réservoir de sorte que l’eau ne déborde pas, ainsi j’ai fixé ces huit règles pour les nonnes, Ananda ".
Mais les choses tournèrent mieux que le Maître ne les avait prophétisées. L’ordre des nonnes bouddhistes, en effet, s’éteignit au XIIème siècle mais la doctrine et l’ordre des moines survécurent de beaucoup aux cinq cents ans prophétisés et sont, aujourd’hui, toujours vivaces et vigoureux.
M Hans Wolfang Schuman
"le Bouddha historique"
Edit. Sully
A lire aussi : "Bouddha et les femmes" Suzan Murcott Edit. Albin Michel
Une vie monastique bien ordonnée
Si les moines observaient 217 règles, les nonnes de leur côté devaient se conformer à 311 préceptes dont les Huit Grandes Conditions. Ces Huit Grandes Conditions dont l’acceptation a été la condition préalable à l’ordination de Mahapajapati et à l’établissemerit de l’ordre des nonnes étaient
1. Une nonne, quand bien même elle serait ordonnée depuis cent ans, doit, devant tout moine, quand bien même il serait ordonné du jour même, le saluer respectueusement, se lever en sa présence, s’incliner devant lui et lui rendre tous les honneurs qui lui sont dus.
2. Une nonne ne doit pas passer la saison des pluies dans une region ou ne séjournent pas de moines.
3. A chaque demi-lune, une nonne doit s’adresser à l’ordre des moines en vue de deux choses : la date de la cérémonie uposatha, et le moment auquel les moines vont dire la prédication de l’Enseignement.
4. A la fin de la retraite de la saison des pluies, les nonnes doivent tenir pavarana devant les deux sanghas, celle des moines et celles des nonnes, pour savoir si aucune faute n’a été commise en fonction de ce qui a été vu, entendu ou suspecté à leur propos.
5. Une nonne qui s’est rendue coupable d’une faute grave doit se soumettre à la discipline marlatta devant les deux sanghas, celle des moines et celle des nonnes.
6. L’ordination majeure (l’initiation upasampada) ne peut être sollicitée devant les deux sanghas que lorsqu’une novice a observé pendant deux ans les six préceptes (les cinq premiers préceptes plus le précepte qui impose de ne prendre qu’un repas par jour avant midi).
7. En aucun cas il n’est permis à une nonne d’injurier ou d’insulter un moine.
8. Les nonnes n’ont pas le droit de réprimander les moines ; il n’est pas interdit aux moines de réprimander les nonnes.
Le terme bhikkhuni, même s’il désigne communément une nonne, s’applique en fait à une nonne ordonnée de puis 12 ans. A ce stade, elle pouvait alors demander à l’ordre le privilège de conférer l’ordination (vufthapana). Cela faisait d’elle une nonne apte à enseigner (upajjha)
Source : Bouddhisme Actualités

lundi 24 janvier 2011

Life at the Abbey with Pema Chodron

La Veritable Paix

LA VERITABLE PAIX
COMMENCE PAR L'OBSERVATION ET L'ACCEPTATION
DE NOTRE PROPRE VIOLENCE

Résumé du livre de Pema Chödrön :
« Pour faire la paix en temps de guerre »
paru aux éditions de La Table Ronde.


L'origine de la colère, la violence, ou la guerre, se trouve toujours au niveau d'une sorte de crispation intérieure. Un fait, une parole, un événement, vont susciter une fermeture de notre coeur et un emballement de nos pensées dans une réaction en chaîne. Cette inflexibilité nous entraine vers les dogmes et jusqu'à l'intégrisme.
Nous sommes, à la base, incapables de nous observer dans ces situations. Pourtant, en général, nous fonctionnons en image miroir à ceux contre qui sont dirigés tous nos griefs.
Or c'est bien de là qu'il faut partir : l'observation de notre attitude nous permet de choisir de ne pas en prendre le chemin, de ne pas retomber dans cet automatisme qui jalonne notre parcours. Ce choix exige le courage de faire face à la peur. Car arrêter le moulin de ces réactions en chaine crée un profond malaise, qui, si nous sommes capables de le traverser, mène à l'apaisement, et à l'ouverture du coeur.
Quand nous nous reconnaissons porteur de ce que nous condamnons justement chez l'autre, nous ouvrons la porte à l'empathie. Nous comprenons alors que nos peurs, notre dogmatisme, notre intégrisme, notre rigidité, nous font tout autant souffrir que l'on peut souffrir de l'oppression et de l'injustice. Les deux facettes font partie de la même pièce. Et stopper l'engrenage d'un côté stoppe la spirale de la violence.
Selon Pema Chödrön, la patience est l'antidote de l'agression. Elle nous permet de ne pas entrer dans le cercle infernal de la réponse à l'agression. Car la riposte ne réduit pas, mais amplifie la douleur de l'agression, elle ne réduit pas non plus la colère.
La patience, à l'inverse, permet de décaler le regard, stopper l'automatisme. Elle refuse également de se laisser piéger par l'urgence. En s'arrêtant, en se mettant à l'écoute de son ressenti, on prend le chemin de l'apaisement. Ce n'est pas un chemin facile mais il porte au-delà de notre propre paix, pour soi et pour tous.
Pema Chödrön exprime que cela exige beaucoup d'intrépidité. En se mettant dans l'attente, on apprend à accepter de faire face à la colère, la nôtre, et la douleur qui y est inhérente. Cette attente, ce refus d'utiliser nos automatismes, permet de cultiver la patience. Et rien ne permet d'éviter de traverser cet état : pas de raccourci, de remède, de bouée.
Mais cette capacité à traverser cela nous permet d'accéder à autre chose. Outre le choix qui devient possible entre la spirale de l'agression et la paix; la patience mène à un nouveau regard, à plus de lucidité.
En laissant tomber notre armure, en refusant de riposter, nous sommes amenés à faire face à notre vulnérabilité. Et la lucidité face à notre propre vulnérabilité, mène à une forme d'indulgence, voire d'humour, envers soi-même, mais également envers les autres. La patience nous mène en quelque sorte à découvrir une dimension de nous-mêmes. En la découvrant chez nous, nous la découvrons aussi chez les autres, et faisons croître notre indulgence, notre bienveillance, à leur égard.
Pema Chödrön introduit le terme tibétain de « Shenpa » qui désigne un concept mal identifié en Occident, le moment où, lors d'un événement (reproche qu'on nous adresse, faux pas, échec), quelle qu'en soit la taille, nous mordons à l'hameçon, en ressentant un malaise ou une frustration. Et, si nous ne sommes pas conscients de ce qui nous arrive, l'impulsion d'agir ou de réagir à l'événement, nous entraine dans des comportements automatiques. Ce malaise et cette agitation correspondent à une insécurité profonde. S'abstenir d'agir peut s'apparenter au refus de réagir lors de démangeaisons. Pour parvenir à ne pas se laisser emporter par la shenpa, Pema Chödrön propose la méditation, le retour au moment présent, l'immobilité dans l'irritation, en apprenant la patience.
Il est possible d'apprendre aussi à repérer la shenpa chez autrui, et, dans la bienveillance et la patience, adapter la conversation avec sagesse - ce qu'on appelle la « prajna » - de manière à ne pas créer une escalade et calmer le jeu.
Les fois où nous cédons à la démangeaison, constituent aussi un apprentissage a posteriori, par la réflexion, en se remémorant les émotions, pour parvenir à les dépasser.
Pema Chödrön définit quatre étapes de ce processus : reconnaître la shenpa, s'abstenir d'agir, se détendre, et enfin décider d'interrompre définitivement cette dynamique. On conserve de la sorte notre énergie et on élargit nos perspectives, notre conscience.
La réalité dure de la vie (deuils, frustrations, confrontations, douleurs,...) est inévitable. Mais ce n'est pas de là que vient le malheur, il vient de notre recherche à y échapper. Or la souffrance est à l'origine de beaucoup d'enseignements : le questionnement, l'empathie face à ceux qui vivent pareil, l'humilité devant la vie. Les difficultés et souffrances sont des chances d'évolution, de transformation. La recherche du bonheur à tout prix est une prison. Traverser la souffrance en l'acceptant, en y étant présent, permet d'accéder à une force intérieure. La réaction de fuite devant la menace, la douleur, la colère, nous rigidifie. Nous nous construisons des murs de protection face à toutes ces situations, qui nous enferment, plutôt qu'ils ne nous en libèrent. Apprendre à reconnaître nos systèmes de protection est le chemin qui mènera à les démanteler. La méditation, la pratique de la patience, et la capacité à reconnaître la shenpa, sont les moyens pour y arriver. Cet apprentissage exige un entrainement à être attentif, à rester ouvert à la difficulté à s'observer.
Pour s'y aider Pema Chödrön présente la notion bouddhiste de la bodhicitta, qui consiste à vouloir aller mieux et vouloir que le monde aille mieux; ces deux choses faisant partie d'un seul concept.
La bodhicitta relative concerne la bienveillance et l'attention que l'on se porte à soi-même, dans toutes les dimensions, et à toutes les parties de soi. Il s'agit d'un amour inconditionnel, qui ne stimule pas les parties problématiques de soi, mais les accepte et les aime sans honte, ni culpabilité, mais aussi sans limite.
Quand nous fuyons des parties de nous-mêmes, cela va nous forcer à fuir les situations pouvant mettre au jour ces parties devant d'autres personnes. Dans nos relations, l'accès à une forme d'intimité avec l'autre, va tôt ou tard dévoiler les parties de nous moins visibles. Si ce sont des parties que nous n'acceptons pas nous-mêmes, nous serons amenés à fuir ces situations. Tout l'art est alors de refuser de fuir pour apprendre à s'aimer tel qu'on est. En cultivant cette capacité à se regarder lucidement, en s'aimant inconditionnellement, on apprend la compassion, à savoir : on apprend à accepter chez l'autre ce que l'on accepte chez soi. En sachant aimer une personne, on devient capable d'aimer des millions de personnes.
La bodhicitta absolue va un cran plus loin. C'est l'ouverture du coeur, la capacité d'amour inconditionnel envers le monde, au-delà des jugements et préjugés. On arrive à un tel niveau par l'entrainement. En commençant par observer nos états d'âme, ensuite en ne se laissant pas piéger par eux, et en accueillant la souffrance inhérente au fait de ne pas les fuir; on surmonte alors peurs et douleurs, et de la sorte, en s'élevant, on aide à diminuer la souffrance dans le monde.
Quand on parvient à éviter la shenpa, qu'on accepte d'éprouver l'insécurité et la colère, d'observer nos états d'âme sans poser d'acte immédiat; on évite déjà d'entrer dans une escalade. Mais il est possible aussi d'accompagner cela par un voeu que cette attitude touche les autres qui souffrent de la même manière, en éprouvant de la compassion pour eux. Il est même possible de pratiquer cela hors situation, par visualisation d'un sentiment d'aversion, par exemple. La pratique amène à ce que cette aversion se désagrège. Il ne s'agit donc ni de fuir le malaise, ni de le rechercher, mais de le traverser, et d'accéder de la sorte à une force nouvelle, une conscience élargie.
Si l'on considère cet apprentissage à un niveau planétaire, et que ce que nous vivons maintenant est la conséquence de nos actions du passé; en travaillant sur soi dans la compassion, nous semons les graines d'une paix future dans le monde. Peu importe le temps que cela mettra, l'important étant d'agir maintenant dans le bon sens. Les changements réalisés chez soi et ailleurs créent de la sorte une nouvelle culture.
Quand nous ne mordons pas à l'hameçon, et nous permettons une pause plutôt que de réagir : nous brûlons les graines de l'agression. A la fois nous nous ouvrons à une réalité élargie et oeuvrons pour un mieux dans le monde. Lorsque toutes nos graines de l'agression seront brûlées, nous rayonnerons la confiance, l'authenticité, nous serons d'une présence agréable. Car si nous nous aimons nous-mêmes, sans honte, sans culpabilité, et avançons dans la sécurité, nourrissant la compassion pour nos prochains, incapables de leur reprocher ce que nous ne nous reprochons plus; alors personne ne pourra se sentir en danger face à nous.
Pema Chödrön propose, quand on s'éloigne de la crispation, et qu'on cultive la compassion, de simplifier les choses. Accepter ce qui est sans se poser mille questions, et traverser, commencer à faire les choses autrement, participant à cette nouvelle culture, pour soi et pour toute la planète.
Claire De Brabander Janvier 2009

Source : Se Changer Soi http://www.sechangersoi.be/index.htmPour Changer Le Monde

dimanche 23 janvier 2011

Pema Chodron : Smile at Fear- Living from the Heart

Transforming the Heart of Suffering

 
By Pema Chödrön
In order to have compassion for others, we have to have compassion for ourselves.
In particular, to care about other people who are fearful, angry, jealous, overpowered by addictions of all kinds, arrogant, proud, miserly, selfish, mean—you name it—to have compassion and to care for these people, means not to run from the pain of finding these things in ourselves. In fact, one’s whole attitude toward pain can change. Instead of fending it off and hiding from it, one could open one’s heart and allow oneself to feel that pain, feel it as something that will soften and purify us and make us far more loving and kind.
The tonglen practice is a method for connecting with suffering—ours and that which is all around us—everywhere we go. It is a method for overcoming fear of suffering and for dissolving the tightness of our heart. Primarily it is a method for awakening the compassion that is inherent in all of us, no matter how cruel or cold we might seem to be.
We begin the practice by taking on the suffering of a person we know to be hurting and whom we wish to help. For instance, if you know of a child who is being hurt, you breathe in the wish to take away all the pain and fear of that child. Then, as you breathe out, you send the child happiness, joy, or whatever would relieve their pain. This is the core of the practice: breathing in other’s pain so they can be well and have more space to relax and open, and breathing out, sending them relaxation or whatever you feel would bring them relief and happiness. However, we often cannot do this practice because we come face to face with our own fear, our own resistance, anger, or whatever our personal pain or our personal stuckness happens to be at that moment.
At that point you can change the focus and begin to do tonglen for what you are feeling and for millions of others just like you who at that very moment are feeling the same stuckness and misery. Maybe you are able to name your pain. You recognize it clearly as terror or revulsion or anger or wanting to get revenge. So you breathe in for all the people who are caught with that same emotion and you send out relief or whatever opens up the space for yourself and all those countless others. Maybe you can’t name what you’re feeling. But you can feel it—a tightness in the stomach, a heavy darkness, or whatever. Just contact what you are feeling and breathe in, take it in—for all of us and send out relief to all of us.
People often say that this practice goes against the grain of how we usually hold ourselves together. Truthfully, this practice does go against the grain of wanting things on our own terms, of wanting it to work out for ourselves no matter what happens to the others. The practice dissolves the armor of self-protection we’ve tried so hard to create around ourselves. In Buddhist language one would say that it dissolves the fixation and clinging of ego.
Tonglen reverses the usual logic of avoiding suffering and seeking pleasure and, in the process, we become liberated from a very ancient prison of selfishness. We begin to feel love both for ourselves and others and also we begin to take care of ourselves and others. It awakens our compassion and it also introduces us to a far larger view of reality. It introduces us to the unlimited spaciousness that Buddhists call shunyata. By doing the practice, we begin to connect with the open dimension of our being. At first we experience this as things not being such a big deal or as solid as they seemed before.
Tonglen can be done for those who are ill, those who are dying or have just died, or for those who are in pain of any kind. It can be done either as a formal meditation practice or right on the spot at any time. For example, if you are out walking and you see someone in pain—right on the spot you can begin to breathe in their pain and send out some relief. Or, more likely, you might see someone in pain and look away because it brings up your fear or anger; it brings up your resistance and confusion. So on the spot you can do tonglen for all the people who are just like you, for everyone who wishes to be compassionate but instead is afraid, for everyone who wishes to be brave but instead is a coward.
Rather than beating yourself up, use your own stuckness as a stepping stone to understanding what people are up against all over the world. Breathe in for all of us and breathe out for all of us. Use what seems like poison as medicine. Use your personal suffering as the path to compassion for all beings.
Pema Chödrön is a nun in the Tibetan Buddhist tradition and a principal teacher at Gampo Abbey in Nova Scotia. She is well known for her teachings on compassion and meditation, and is the author of several books, including Start Where You Are and When Things Fall Apart.
Source : Buddhadharma Summer 2010

Débat ? Le combat féministe au sein du bouddhisme


Pas plus que les autres religions, le bouddhisme ne reconnait spontanément des droits égaux aux femmes. Cependant, le combat pour l’égalité y est plus facile qu’ailleurs. C’est une religion (ou une philosophie, nous ne nous battrons pas sur les mots) non législative, influencée dès les origines par la tradition de débat de la philosophie grecque ; les oppositions s’y expriment par le langage, ne recherchent pas les moyens de contrainte juridique, et gardent la mesure. La question de savoir si une femme peut atteindre l’ Éveil sans renaissance préalable dans un corps d’homme reçut dès l’origine une réponse positive, ce qui ne l’empêcha pas de revenir de façon récurrente. L’ordre des nonnes bouddhistes, un temps disparu, ne renait qu’avec difficultés, et il est d’ailleurs subordonné à l’ordre des moines. Nous pensons que c’est en tant que laïque qu’une femme peut le mieux mener librement sa recherche spirituelle dans le cadre de cette grande tradition.

PEUT-ON ATTEINDRE L’ ÉVEIL DANS UN CORPS DE FEMME ?

Une femme peut-elle atteindre l’ Éveil directement, ou doit-elle passer par une renaissance dans un corps masculin ? En théorie, il ne devrait même pas y avoir de question, puisque celle-ci fut réglée dès l’origine par le Bouddha lui-même, lorsqu’il accepta, quoique avec réticence, la création d’un ordre féminin. Plaidant la cause des femmes, son ami le plus proche, Ananda, lui demanda :

" Seigneur, des femmes qui s’engageraient dans la vie sans demeure selon ton Dhamma et ta discipline pourraient-elles atteindre la perfection (c’est-à-dire l’illumination) ?

- Oui, Ananda."

Tout est dit, pourrait-on croire ... D’autant plus que le Canon Pali, l’un des recueils canoniques les plus anciens, contient des stances écrites par les nonnes, le Thérigatha.

Le Therigatha, neuvième livre du Khuddaka Nikaya, consiste en 73 poèmes (522 versets en tout) dans lesquels les premières nonnes (bhikkhunis) racontent leurs luttes et leurs réalisations tout au long de la route vers l’état d’ Éveil. Plus d’une nous raconte comment elle l’a atteint :

"Libre ! Je suis si complètement libre ! Libérée des trois choses tordues : du mortier, du pilon, et du vieux mari tordu. Ayant déraciné l’envie insatiable qui conduit au devenir, je suis libre de la vieillesse et de la mort."

"Passant en quête d’aumônes, faible, appuyée sur un bâton, les membres tremblants, je suis tombée juste là, sur le sol. En voyant les inconvénients du corps, mon esprit fut alors libéré."


Voici aussi un dialogue fictif entre Mara, qui est un peu l’équivalent du diable dans le Bouddhisme, et la méditante Soma :

"Mâra :

Cet état que les sages se proposent comme but et dont l’obtention est difficile, Une femme, qui n’a qu’une once de sagesse, n’est pas capable d’y atteindre ! Somâ :

Que nous importe la condition de femme si l’esprit est bien dompté, Et si la connaissance est celle de qui a la juste vision du Dhamma ! D’où qu’elle vienne, la jouissance a été mise en échec et la masse des ténèbres est transpercée. Sache, Mâra, que tu es vaincu, toi, l’agent de la mort !"


Malgré tous ces textes anciens, l’idée que la femme doit passer par une re-naissance masculine pour atteindre l’Eveil a la vie dure. Cependant, d’après le Dalai-Lama :

« Il y a un vrai mouvement féministe dans le bouddhisme qui est relié à la déité Tārā. Suivant son culte de la bodhicitta, la motivation du bodhisattva, elle a observé la situation des êtres s’efforçant d’atteindre le plein éveil et elle remarqua que peu de personnes atteignaient l’état de Bouddha en tant que femme. Ainsi Tārā s’est fait une promesse (elle a dit à elle-même) : « J’ai développé la bodhicitta en tant que femme. Pour toutes mes vies le long du chemin, je jure de renaître en tant que femme, et dans ma dernière vie, quand j’atteindrai l’état de Bouddha, là aussi, je serai une femme. » »

DIFFICULTÉS POUR LA PLEINE ORDINATION DES FEMMES

C’est dès l’origine que les femmes eurent du mal à se faire admettre dans les ordres bouddhistes.

La communauté monastique des femmes est née officiellement lorsque le Bouddha revint pour la première fois à Kapilavastu après son illumination. Sa tante l’attendait pour lui demander de la recevoir comme bhikkhuni avec cinq cents autres dames. Tout d’abord réticent, le Bouddha aurait fini par accepter devant l’insistance des femmes et celle d’Ananda. Gautama aurait néanmoins prédit que son enseignement s’éteindrait plus tôt du fait de la présence des femmes. Il posa comme condition qu’elles acceptent huit règles suivantes qui les plaçaient sous l’autorité des moines.

Au fil de l’histoire, la communauté des nonnes disparut, soit complètement soit presque complètement selon les écoles. Restaient des femmes qui menaient la vie ascétique, mais sans le statut de nonne pleinement ordonnée, dans des conditions économiques précaires, et en accomplissant principalement des tâches domestiques au service des moines.

La renaissance d’un véritable ordre féminin est laborieuse.

Voici un exemple de ce qu’on peut lire, sous la plume de moines, pour maintenir les pratiquantes dans un statut inférieur :

"Si je me trompe, tant mieux, car j’ai l’impression que des personnes très sympathiques et manifestement pleines de bonne volonté mettent (sans le vouloir) l’Enseignement du Bouddha en péril, sous le prétexte de "faire progresser les droits des femmes, et tout particulièrement des nonnes, dans le bouddhisme".

J’avoue que cela me semble déplacé ! Paradoxal aussi.

A ce que j’ai cru comprendre, le Bouddha n’a jamais refusé d’enseigner à une femme du fait de son statut de femme, et si certaines lignées n’existent plus aujourd’hui, ce n’est pas dû à des mesures délibérément hostiles aux femmes. Il y a, malheureusement, nombre de lignées qui ont disparu au fil des siècles, notamment suite aux invasions musulmanes en Inde. Cela lèse tous les bouddhistes. Les hommes aussi.

Quand j’ai lu des articles à propos du Congrès, ou quand j’ai entendu les interviews ce matin, j’avoue que j’ai ressenti un certain malaise.

A titre d’exemple (fondamental), dans le bouddhisme, "entrer dans les ordres" se dit "quitter le monde", "quitter la maison". Aussi, quand j’entends revendiquer un statut social, ou une reconnaissance de la part de la société, ou des titres pour s’imposer, eh bien, je m’interroge ! Ou quand il est affirmé que devenir bhikshuni serait un grand progrès pour les femmes car cela renforcerait "leur assurance et leur amour-propre" (sic), je me demande ce qu’on a fait du renoncement au monde, base nécessaire pour les moines et moniales bouddhistes, à ce qu’en disent les soutras..."


Ah ! l’égo ! Quel argument ! Il marche toujours ! Quand les femmes veulent améliorer leur condition, cela vient toujours de l’égo ! Mais on ne parle jamais de lui quand ce sont des hommes qui s’accrochent à leurs privilèges !

Heureusement, il y a des moines qui parlent autrement, comme Bante Sujato dans cet excellent texte où il analyse Le sexisme, l’androcentrisme et la misogynie :

"Le problème ici ne se situe pas au niveau de l’individu, mais de la Sangha puisqu’en tant qu’institution, la communauté des moines est toujours dans le déni du problème du sexisme, qu’elle refuse de reconnaître la misogynie et continue de placer des misogynes à des positions de pouvoir.

Ceux-ci une fois en place, la pratique institutionnelle « normale » de simplement ignorer, de marginaliser et d’exclure les femmes, se transforme en une suppression active de celles-ci.

Le problème qui se pose alors est qu’il faut la présence de femmes pour satisfaire le fantasme misogyne. Par conséquent, les femmes doivent être attirées vers les monastères, encouragées et soutenues, afin qu’elles puissent y rester et y être maltraités. S’il n’y a pas de femmes dans les monastères, comment peut-on les confiner à la cuisine ?

C’est la transposition dans un cadre spirituel du même phénomène qui se perpétue dans certains mariages."


L’accès à l’ordination pleine et entière se fait au compte-goutte. Voici quelques exemples dans les différentes écoles :

Zen : avance de la tradition Soto et du zen vietnamien

Tibétains : avance de la tradition kagyupa ; Tara Abbey (tradition Karma Kagyupa) ; Jetsunma Tenzin Palmo, qui a pris aussi le voeu spécifique d’atteindre l’Eveil en tant que femme ; le Dalai-Lama est pour l’ordinattion des femmes, mais pas au point de l’imposer au reste de la hiérarchie religieuse

Théravada : en retard ; difficultés d’ordination de la Vénérable Dammananda ; difficultés d’ordination de Dhammarakita Samaneri

Un aspect très positif de ces ordinations est qu’elles obligent à briser les barrières entre les différentes écoles bouddhistes ; par exemple, des nonnes tibétaines ne font pleinement ordonner dans une école mahayaniste autre que la leur, plus souple sur l’ordination des femmes, puis réintègrent leur école d’origine.

PRATIQUER EN TANT QUE LAÏQUE

On a vu les difficultés qu’éprouvent les nonnes à obtenir une ordination complète. On n’a pas oublié que l’ordination, même complète, n’est qu’à demi satisfaisante, puisque les nonnes, même pleinement ordonnées, restent subordonnées aux moines et exposées à des attitudes vexatoires.

La bonne solution est en fait de pratiquer en tant que laïc, et de ne pas entrer dans un système de subordination de maître à disciple.

Nous avons tous les moyens de le faire. Les grands textes sont disponibles sur le net et en librairie. L’esprit de libre examen était préconisé par le Bouddha lui-même dans le Kalama Sutta.

"Venez, ô Kalamas, ne vous laissez pas guider par des rapports, ni par la tradition religieuse, ni par ce que vous avez entendu dire. Ne vous laissez par guider par l’autorité des textes religieux, ni par la simple logique ou les allégations, ni par les apparences, ni par la spéculation sur des opinions, ni par des vraisemblances probables, ni par la pensée que « ce religieux est notre maître spirituel »

Cependant, ô Kalamas, lorsque vous savez vous-mêmes que certaines choses sont défavorables, que telles choses blâmables sont condamnées par les sages et que, lorsqu’on les met en pratique, ces choses conduisent au mal et au malheur, abandonnez-les."


Le Bouddha nous a transmis à tous, hommes et femmes, moines, nonnes et laïcs, tout ce qu’il fallait pour atteindre l’ Éveil, et il l’a fait clairement. Il n’y a pas place pour des enseignements secrets dans le bouddhisme, contrairement à ce que racontent des bonimenteurs.

Lors de la mort, le Bouddha, dans un dernier sermon (le Mahaparinibbana Sutta), a engagé ses disciples à lui poser leurs dernières questions sur les points de l’enseignement qui leur seraient obscurs, car, dit-il, il ne verra pas le jour suivant. Devant le silence général, il exhorte une dernière fois son auditoire, en des termes restés célèbres, et rappelle que, après sa mort, comme cela a été le cas de son vivant, chacun est sa propre lampe et son propre maître :

« Soyez fidèles au Dharma, et soyez un refuge pour vous-mêmes. »


Catherine Segurane

Source :
www.agoravox.fr 

vendredi 21 janvier 2011

Les femmes dans l’histoire du zen

Un préjugés qui nous est présenté comme un fait historique, est l’idée que les femmes n’auraient pas été impliquées aux niveaux les plus élevés du bouddhisme et du développement du zen au Japon. Les sources historiques nous montrent que ceci est faux
Par Jade Reidy
La tradition orale et la lignée du zen sont transmises à travers les kusen et les histoires maintes et maintes fois racontées pendant zazen par les godo et les maîtres. Ces histoires sont recueillies par les disciples et souvent publiées après la mort du maître. Ainsi les traditions vivantes se trouvent-elles imprégnées d’idées culturelles, indissociables des préjugés de temps et d’espace. Un de ces préjugés, et qui nous est présenté comme un fait historique, est l’idée que les femmes n’auraient pas été impliquées aux niveaux les plus élevés du bouddhisme et du développement du zen au Japon. Les sources historiques nous montrent que ceci est faux.
L’histoire du Bouddhisme s’étend sur environ 2500 ans. L’histoire des nonnes couvre les mêmes 2500 années. Revenir au présent éternel exige que l’on se débarrasse de tout postulat culturel. Une évidence apparaît alors : les femmes ont joué un rôle vital et constant dans l’histoire du zen ; elles ont fait partie intégrante du bouddhisme en Inde, en Chine et au Japon, même quand la société est allée à contre-courant de cette tendance. Les femmes ont en fait enseigné aux hommes le respect pour les femmes et, comme nous le montrent les documents, elles leur ont ouvert la voie de la réalisation.
Le manque de sources historiques écrites relatant les vies des nonnes zen du passé indique l’ampleur de la perte concernant les informations sur notre lignée complète ; il ne saurait prouver que les femmes n’ont pas été des agents essentiels de la tradition monastique.
Une des raisons pour lesquelles les femmes ont complètement disparu des écrits du zen au Japon, c’est que les hommes ont décidé que le moine devait être appelé so et la nonne niso. So est en fait un terme général, sans genre, qui signifie « monastique ». Les hommes se sont donc autodésignés comme référents pour tous les monastiques, alors que le terme exact pour désigner le moine est nanso ; ce terme correspond en effet davantage au mot sanscrit bhiksu, qui désigne un moine mendiant de sexe masculin.
Certains traducteurs ont donc supposé que Dogen et d’autres auteurs n’avaient pas grand chose à dire sur les femmes, vu qu’ils utilisaient uniquement le terme sô. Ce n’est pas la vérité.
Si l’on remonte directement à l’époque de Bouddha en Inde, on trouve parmi ses principaux disciples de nombreuses femmes ; et en premier lieu sa belle-mère, celle qui a élevé Shakyamuni, Mahaprajapati, et son épouse, Yasodara. Lorsque Bodhidharma apporta en Chine les enseignements bouddhistes, il n’y eut que quatre disciples à recevoir le shiho de sa main, et sur ces quatre disciples, l’un fut une femme du nom de Soji ; c’était la fille de l’Empereur Bu. Nous tenons cela de Dogen qui l’a mentionné dans le Shobogenzo. Le bouddhisme prend racine en Chine, s’étend ensuite à la Corée, puis de la Corée au Japon, quand le Roi Song (dans la première moitié du VIe siècle, presque 700 ans avant la naissance de Dogen) fit envoyer à l’Empereur Kinmei des sutras et des sculptures bouddhistes. Le premier bouddhiste ordonné au Japon fut une femme.
La première personne à avoir été ordonnée dans cette toute nouvelle religion du bouddhisme au Japon (en 584) fut une femme du nom de Shima, issue d’une famille puissante de la tribu Soga. Après elle, deux autres femmes, Toyome et Ishime, prirent les noms de Zenzo-ni et Ezen-ni. Il n’était pas possible au Japon de recevoir l’ordination complète car cela nécessitait la présence de dix moines et de dix nonnes.
Les Chroniques Gangoji relatent que ces trois femmes voyagèrent seules jusqu’à Paekche en Corée, où le bouddhisme était bien établi, et qu’elles y reçurent l’ordination complète en 587. À leur retour au Japon, elles vécurent ensemble à Yamoto dans une amadera, un temple bouddhiste pour femmes, dirigé par une femme du nom de Sakurai-ji. En 623, il y avait au Japon 569 nonnes et 816 moines, et en 674, à l’occasion d’une cérémonie, eut lieu un grand rassemblement de 2400 nonnes.
Cela se passait dans le Japon de l’époque préconfucéenne, une ère où pouvoir spirituel et pouvoir gouvernemental n’étaient pas séparés et où les femmes exerçaient leur influence dans les deux domaines. On considérait que les femmes possédaient des pouvoirs chamaniques et durant les périodes Asuka (550-710) et Nara (710-784), il y eut au gouvernement huit impératrices. Celles-ci mirent toute leur énergie au service du développement du bouddhisme. Ainsi Zenshin-ni eut-elle pour modèles, de nombreux exemples de femmes engagées à la fois dans les affaires religieuses et politiques.
Le Sutra du lotus eut pour les femmes une valeur inestimable : l’histoire de la princesse Naga qui est devenue un bouddha fut interprétée comme une preuve que les femmes pouvaient accéder à l’éveil. Les temples des nonnes fondés par l’Impératrice Komyo en 740 étaient appelés « Temples du Lotus pour l’Absolution des Péchés ». (Hokke Metsuzaishi-ji) et chaque temple abritait dix nonnes, chiffre qui est monté à vingt après 766. Ces temples recevaient une aide économique du gouvernement. L’Impératrice Komyo a également fondé des institutions caritatives chargées de dispenser une aide médicale et de soulager les plus démunis. Elle-même fut ordonnée au temple principal de Todai-ji en 749.
Shotoku Taishi, qui fut une figure maîtresse dans la formation du Japon, éprouva, à l’égard des femmes, de profonds sentiments. Sur les sept temples qu’il aurait fait construire, cinq furent réservés aux femmes (amadera) et le plus célèbre, Chugu-ji, existe toujours aujourd’hui à Nara.
À cette époque, les valeurs confucéennes avaient déjà pénétré à l’intérieur du pays depuis une centaine d’années et avec l’Édit de la Réforme de Taika, en 646, les femmes se virent progressivement privées des pouvoirs institutionnels. Selon des documents datant du IXe siècle, il est clair que les femmes ne sont pas restées passives face à une telle privation et une telle injustice ; et pourtant, à l’époque de Dogen, les valeurs confucéennes dominaient encore la société japonaise.
La période Kamakura
« De quel droit les mâles seuls sont-ils nobles ? Le ciel vide est le ciel vide ; être une femelle est exactement la même chose. »
(Dogen : Taisho, vol.82)
Dogen fut obligé de remonter à l’époque préconfucéenne pour convaincre ses disciples que les femmes étaient capables d’instruire les hommes. Il utilisa des exemples inspirés de son séjour en Chine :
Myoshi-ni eut dix-sept moines pour disciples et c’est grâce à elle, qu’au cours du IXe siècle, ces moines obtinrent l’éveil.
Massan Ryonen-ni fut l’éducatrice du grand maître zen chinois Kankei Shikan Zenji.
Tout au long de sa vie, Dogen lui-même fut sous l’influence de femmes monastiques. Un mois avant de mourir, il écrivit que Egi-ni était la « sœur de Dharma » de Ekan, Ejo et Esho. Bien qu’aucune femme ne reçut l’ordination de sa main, Egi-ni passa vingt ans à ses côtés. Dogen lui témoigna le plus profond respect, de même qu’à plusieurs autres nonnes. Elle fut à son chevet lorsque, vers la fin de sa vie, il tomba malade et elle contribua de façon importante à prendre en main la génération suivante, menée par Ejo. Elle fut aussi la « tante de Dharma » de Gikai, qui suivit Ejo au temple de Eihei-ji.
Deux chapitres du Shobogenzo, Bendowa et Raihaitokuzui, affirment l’égalité des femmes et des hommes dans la pratique du zen. De plus, Dogen a complètement réinterprété la lecture que nous pouvons avoir de cette phrase du Sutra du nirvana : « Toutes les existences sont la nature de bouddha. »
C’est une nonne, Ryonen-ni, qui l’aurait principalement influencé pour écrire, dans Bendowa , son enseignement le plus explicite au sujet des femmes. Dogen n’eut de cesse de faire son éloge, disant qu’elle possédait une « rare aspiration à l’éveil » (bodaishin). Dans le Eihei Koroku, il écrit que Ryonen-ni était profondément dévouée à la Grande Voie des bouddhas. On la compare parfois à Massan. Ryonen-ni en Chine ; c’est de la moëlle de ses os que la nonne aurait connu le zen.
Grâce à l’argent offert par une femme du nom de Shogaku Zenni, Dogen put faire construire le dharma hall qui se trouve dans son premier temple à Kosho-ji ; et lors de son ordination, en 1225, Shogaku Zenni fit don à Dogen du restant de sa fortune.
Ce n’est là qu’un exemple du soutien que les femmes ont apporté à Dogen et de l’influence qu’elles ont exercée sur lui.
Ekan Daishi était la mère de Keizan. Elle fut nonne et Abbesse de Joju-ji au moment des funérailles de Gikai en 1309 ; c’est d’elle que Keizan tint sa dévotion religieuse. Myoshi-ni, la nièce d’Ekan, fut nommée Abbesse de la première amadera de l’école Soto, Hoo-ji, qui avait été construite par Keizan en l’honneur de sa mère. Le 23 mai 1325, en mémoire de celle-ci, Keizan fit vœu d’aider les femmes dans les trois mondes et dans les dix directions. Une trentaine de nonnes suivirent son enseignement ; l’introduction des nonnes dans la pratique soto, telle qu’elle fut établie par Dogen et Keizan à travers l’influence de leurs mères, continua sous la période Muromachi, grâce à leurs successeurs.
Source : le nouveau livre de Paula Kane Robinson Arai sur les nonnes soto : Women Living Zen, publié par Oxford University Press. L’auteur, qui parle couramment le japonais, a écrit sa thèse sur ce sujet à l’Université d’Harvard et a vécu un an dans et près d’une communauté de nonnes soto à Nagoya, au Japon, en 1989.
Teishin (1798-1872)
Teishin est devenue nonne à l’âge de 23 ans. Elle en avait 29 lorsqu’elle rencontra Ryoken et qu’ils tombèrent amoureux. Lui était alors âgé de 70 ans. Teishin était poète ; tous deux composaient ensemble des poèmes et discutaient pendant des heures de littérature et de religion. Teishin ne publia jamais ses propres poèmes mais choisit plutôt d’en rassembler certains de Ryoken, après la mort de ce dernier en 1831. Le recueil est intitulé Hasu no tsuyu ou Hachisu no tsuyu. 
Cet acte désintéressé permit à Ryoken d’être connu d’un large public, alors que Teishin, elle, resta relativement dans l’ombre.
La lune, j’en suis sûr,
Brille de sa vive clarté
Bien au-dessus des montagnes,
Mais les nuages sombres enveloppent les sommets de leur obscurité.
Ici avec toi
Je resterais
Des jours et des années sans nombre
Silencieux comme cette lune brillante
Qu’ensemble nous avons contemplée.
Poème d’amour à Dogen
Traduction française : Juliette Heymann
 Juin 2001
Jade Reidy
Source : Buddhaline

mardi 18 janvier 2011

That was then, this is now






That was then












The eight heavy rules are the result of historical and social circumstances, explains Buddhist scholar Janet Gyatso—and times have changed. Equal status is critical, not only for those directly affected but also for the future of Buddhism in the West.

It is crucial to develop an intentional stance on the famous eight heavy rules, the provisions that institute patriarchy in Buddhist monasticism and upon which the Buddha supposedly insisted before granting women permission to take ordination. An explicit position on the status of these eight provisions today needs to be articulated publicly. Leaders of the Buddhist sangha—male and female alike—need to address and acknowledge them clearly, and specify how they are to be handled in the twenty-first century. The contingencies of our current world context require the formation of such an intentional position.

Some in the current Buddhist sangha, in Asia as well as the West, would like to disavow the eight heavy rules altogether. Recall, they require the unconditional deference by all nuns to all monks, regardless of merit or seniority; they call for the supervision of nuns’ living arrangements and ritual procedures by monks; and they prohibit nuns from reviling or admonishing monks, while explicitly permitting monks to admonish nuns. The eight heavy rules provision is a key part in the defining story of women’s original acceptance into the Buddhist monastic order.

While this enshrinement of patriarchy in the rules of bhikshunis is unfortunate and damaging, it poses a recalcitrant problem. We cannot easily write it out of the Vinaya. Not only is the story included in all versions of the Vinaya, but all of the eight provisions save one have been incorporated into the pratimoksha governing the nuns’ rules of behavior and punishments for their infractions. They are intricately woven into monastic ritual and tradition; simply to wipe them out would entail so many changes that it might be difficult to claim that the new female order was indeed the same as the bhikshuni tradition known from historical Buddhism. A similar question has long been debated in other religions, and especially in Christianity: is there a way to accommodate and reinterpret elements of one’s tradition that are patriarchal and/or androcentric, if not misogynist, or is it necessary to change the tradition radically, or even abandon it entirely? This complex debate is likely to develop among Buddhists too, unfolding gradually with different ramifications in different contexts. But it would be unfortunate to allow it to derail the quest by Buddhist women to reestablish the order in its traditional form. I would suggest that it be treated with restraint for now.

That is not to say that the eight heavy rules can be left in place without comment. They are a liability, not only to the success of the bhikshuni movement but also to Buddhism as a whole. They damage the reputation of Buddhism as a religion of egalitarianism and equanimity. The eight heavy rules imply that in Buddhism, renunciant women are lower in status than men and also not deemed capable of managing their own affairs. Both fly in the face of the broad-based call for sex and gender equality that has been percolating throughout the world for the last century at least.

The eight heavy rules need to be addressed both because of their detrimental impact on the aura of the new bhikshunis and for the harm they do to the reputation of Buddhism among civilized nations everywhere. To do this would not mean that the Buddhist leadership is acquiescing to popular trends and public opinion. Rather, it is essential to realize that image, respect, and prestige underlie the very nature of Buddhist monasticism from the start. The Buddhist sangha was designed precisely as an exemplar of the optimum religious lifestyle. Its survival depends on the generosity of the lay, whose support fluctuates in exact proportion to their conviction that the monastic community is maintaining its purity and the highest standards of behavior and wisdom. Indeed, the eight heavy rules themselves are cast in the story as necessary precisely in order to assuage the concerns of the Buddhist lay community.

The same is true now, except that lay expectations have shifted: There are different sets of concerns in the global lay community. We need to have a public pronouncement stating that in the Buddhist sangha of the twenty-first century, despite the technical inclusion of the eight heavy rules in the Vinaya texts, bhikshus and bhikshunis will be considered to have equal status and prestige, and be subject to the same rules of seniority; there shall be in practice no difference based on sex or gender alone. Buddhist leaders need to affirm that the eight heavy rules had their time and place but their conditions no longer remain. They need to do this to retain the respect and support of the lay Buddhist world.

But just as much, to work for gender equality is simply on the side of what is right. There can be no question that Buddhist doctrine, throughout its history, agrees. The patriarchy and misogyny that we do find in Buddhist sources is to be attributed to historical and social circumstances rather than reasoned or ethical principle. There is never a principled argument for gender inequality in Buddhist literature.

The Buddhist sangha needs to lead its own communities in fostering the best path, the best values—indeed, as it has always endeavored to do. The best path and the best values in the world favor gender equality and the elimination of patriarchy and misogyny. What is more, it is critical to the success of the bhikshuni sangha that they have no shadows, no grounds to disparage their prestige and status; hence the necessity to confront and deal with the eight heavy rules.

One way to counteract the shadow cast by the eight heavy rules would be for the male sangha to deliberately and overtly show their respect for bhikshunis. Monks should go out of their way to display their respect for nuns at every opportunity, to put them on a high chair and to treat them as equals. Along these lines, it was extraordinary to hear the Dalai Lama proclaim in Hamburg that feminism is wonderful and important, celebrating the strong talents that women have for modeling Buddhist values. Hearing such an intentional statement of support from a figure like the Dalai Lama helps women to hold their heads high in the Buddhist world. Such support will help redress and reverse the prejudice that women have endured over the centuries in Buddhism. In particular, displays of such esteem toward bhikshunis by monks could be cast explicitly as a deliberate attempt on the part of the Buddhist sangha to show that it regards the eight heavy rules only as an archaic relic from a previous period in Buddhist history.

It is crucial to repeat again that prestige and status are essential to the success of the Buddhist sangha. It would be a grave mistake to conflate concerns about prestige and reputation with the kinds of problems of ego that Buddhism always warns us against. Regard and respect is at the bottom of the entire system of the Buddhist sangha; it is essential for the support of the laity, and that support is essential for the sangha to survive. It is a mistaken sense of the ascetic path to think that the bhikshuni sangha can operate without proper facilities and resources. Without such support the bhikshuni sangha will experience a second decline.

Those contemporary Buddhist women who have argued that the eight heavy rules should not be contested but rather regarded as providing a good opportunity for women to work on their egos are pursuing a mistaken strategy. Although it is certainly true that the situation is a good chance to work on one’s ego—most situations are!—we should hardly welcome the disparagement of an order whose entire purpose is to provide models of dignity and discipline.

From Dignity and Discipline, edited by Thea Mohr and Jampa Tsedroen, published by Wisdom Publications.

Source : Buddhadharma

dimanche 16 janvier 2011

Ordination de 4 bikkunis en Californie au mois d'aout dernier.

Last Wednesday marked a historic occasion in the Thai Theravadan Buddhism. For the first time in the Western hemisphere, women were fully ordained as bhikkhunis (Buddhist nuns) in the Thai Forest tradition. Sylvia Boorstein, founder of Spirit Rock Meditation Center and Tricycle contributor, attended the ordination and later reported on the events on her Huffingtonpost blog. Boorstein explains the history of female ordination:
Although the Buddha ordained both monks and nuns, the order of nuns disappeared a thousand years later when it became clear that there were no nuns available to ordain new nuns. Keeping strictly with tradition (and in keeping with patriarchal pressures) the rule that nuns needed to be ordained by nuns brought the order of nuns to an end, and women were able to join a community and practice in only an inferior status. The pressure brought by women ardent to practice and have roles and recognition comparable to men has enabled some women, trained in the Theravada Thai tradition, to be ordained by nuns with Sri Lankan ordination. The nuns ordained Sunday join the now small group of recognized bhikkhunis in the Thai Forest tradition that can now continue to grow.
Boorstein goes on to say that though many non-Buddhists are unaware of the exclusion of female monastics, Wednesday's ceremony marked a pivotal victory for all marginalized groups of women:
It's probably fair to say that not many people outside of Buddhism have been aware of the exclusion of nuns from equality in monastic practice in the Theravada tradition. Nevertheless, I felt the event as an epochal one, and not only for women in Theravada practice. Each time equal opportunities are afforded to women where they had not been before, each time gender barriers are eliminated and women are emancipated, all women benefit. All people benefit. The world is made more harmonious.
For more on female ordination, read "Ordination as Equals," by Victoria Rue from the Summer 2009 issue of Tricycle.

dimanche 9 janvier 2011

Le monastère de Ayoama Roshi - la formation des nonnes

Ayoama Roshi documentaire tourné au Japon

Interview de Aoyama Roshi

 Elle est l'abbesse d'un des trois noviciats féminins pour les nonnes de l'école Sôtô du zen au Japon. Elle prône un retour aux sources , à la pureté de l'esprit de Dôgen, moine du XIIIème siècle, réformateur et créateur de l'école.

(le Monde des religions aout 2002) Interview menée par Jean Pierre Denis, 

Une ruelle tranquille, dans un quartier cossu de Nagoya, grande ville japonaise située à mi-chemin de Tokyo et de Kyoto. Une atmophère nette, raffinée, soignée dans les mille et un détails de son dépouillement. Aichi Senmon Nisôdô, l'un des trois noviciats féminins pour les nonnes de l'école sôtô du zen, fondé en 1904 pour redonner aux femmes un égal accès à la connaissance dans cette branche du bouddhisme japonais. Dans les coulisses, respectant un silence absolu, les cuisinières s'activent. Quelques visages occidentaux se profilent. Les fenêtres de papier du salon d'honneur coulissent pour laisser entrer discrètement, par le côté, la lumière d'un jardin de modestes proportions, mais d'un parfait équilibre: arbres taillés, buissons en harmonie, volumes accordés.

C'est ici que se réinvente, avec une grande exigence, le zen au féminin selon l'esprit de Dôgen, sous la houlette d'une maîtresse femme, Shundô Aoyama, soixante-neuf ans. L'abbesse fait son entrée dans le shoin, la pièce d'honneur. Inclinations. Politesses millimétrées. Rites de bienvenue, le thé de la cérémonie du thé, dans un ballet feutré de nonnes, trois fraises offertes comme un trésor, des gestes d'une hospitalité mesurée mais absolue. Wa, kei, sei, jaku... les quatre vertus de la cérémonie du thé.  L'harmonie, le respect, la pureté, la sérénité semblent devoir s'incarner ici. Crâne rasé, lunettes sans apprêt, visage bienveillant à la peau juvénile, présence immobile de l'abbesse.

Shundô Aoyama est une personnalité charismatique, très connue au Japon à travers ses chroniques dans un grand hebdomadaire féminin, ses apparitions télévisuelles, ses très nombreuses conférences, ses livres et sa lutte discrète pour la restauration d'un zen authentique. A cinq ans, sa mère, qui la considère comme un don du Bouddha, la fait rentrer dans le monastère que dirige sa tante: A dix-sept ans, elle est ordonnée, part étudier, découvre une certaine corruption monastique qui la choque.  Dès 1970, à trente-sept ans, elle devient abbesse à Nagoya, incarnant la nouvelle génération du zen au féminin, enfin reconnue sur un pied d'égalité après un siècle de lutte contre le machisme monastique.

Dans l'avion qui me menait vers le Japon, je discutais avec une jeune femme qui allait se marier selon les rites bouddhistes de l'école Sôtô en usage dans sa famille. Mais elle se montra fort surprise que je vienne ici pour étudier le zen. Je me suis donc plongé dans les statistiques: à peine 3 % des Japonais déclarent s'intéresser vraiment aux religions...

Cela dépend d'abord de ce que l'on entend par religion. Au Japon, les nouvelles religions ou les simples superstitions prolifèrent. Au sein même du bouddhisme, il existe de très nombreuses écoles. Du coup, les gens sont perdus, et ils ne voient plus que le mauvais côté des traditions religieuses. Il faut s'efforcer de restaurer un bouddhisme authentique.

Un bouddhisme authentique... mais le bouddhisme est pluriel, depuis toujours !

Ma conception de la religion, et pas seulement du bouddhisme, repose sur une conviction assez simple il existe une seule vérité originelle. Avant que l'être humain ne la découvre, la vérité est présente. Elle est là. Elle existait des milliards d'années avant la Terre.

Vous avez participé au dialogue intermonastique dès 1979, et accueilli des bénédictines dans ce même temple. Partagez-vous avec elles cette unique vérité?

Depuis que l'être humain est apparu, chaque civilisation s'est efforcée de mettre un nom, un nom forcément différent, sur cette vérité unique. L'histoire de la planète court sur 4,5 milliards d'années. L'histoire humaine se résume à quelques centaines de milliers d'années, et la culture proprement dite à quelques milliers d'années, sur lesquels nos trois grandes religions n'occupent qu une assez courte période le bouddhisme n'a que 2 500 ans, le christianisme 2 000, l'islam à peine 1500.

Considérons ces 4,5 milliards d'années comme s'il s'agissait de 365 jours. L'être humain est apparu vers la fin de l'année. Et les trois grandes religions au soir du dernier jour. Cela leur laisse bien peu d'ancienneté Tout ce que nous pouvons dire, modestement, est que la vérité selon le Bouddha Sakyamuni est devenue le bouddhisme, la vérité de Jésus a donné le christianisme, et que l'islam est né de la vérité selon Mahomet. Nous sommes de toutes petites choses, et nous pensons à la grande vérité selon nos minuscules chemins. C'est à partir d'une très modeste perception que nous avons créé nos trois grandes religions.

Le plus important est donc ailleurs, d'abord dans le fait que les gens cherchent la vérité et lui donnent un nom en fonction de leur propre expérience. Ils l'appelleront ainsi « enseignement du Bouddha », «enseignement du Christ » ou « enseignement de Mahomet ». Mais surtout, que nous sachions la découvrir ou pas, la vérité pré-existe. Elle est unique. Tout le monde le pressent d'ailleurs, quoique personne ne voie autre chose qu'un simple aspect de cette vérité unique.

Les nouvelles religions, les sectes qui se développent au Japon depuis l'époque Meiji (XIXe siècle) et surtout depuis la Seconde Guerre mondiale participent-elles à cette vérité?

Il est bien naturel qu'au fil de l'histoire humaine de nouvelles formes de vie religieuse se développent. Depuis la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses religions sont en effet apparues au Japon. Mais une grande partie d'entre elles ont déjà disparu. Celles dont les enseignements sont mauvais disparaîtront à leur tour, elles s'effaceront d'elles-mêmes. Le vrai enseignement se mesure à l'échelle du temps. Les enseignements du Bouddha n'ont traversé que deux mille cinq cents ans, mais ils ont déjà traversé deux mille cinq cents ans ; cela souligne la vérité qui leur est inhérente.

Au Japon, sur les 14 000 temples affiliés à l'école Sôtô, 10 % seulement disposeraient d'une salle de méditation digne de ce nom. Chez les hommes, la plus grande partie des moines sont mariés, et gèrent leur temple de père en fils. Le zen n'est-il pas entré en décadence?

La pratique s'adapte à son environnement, exactement comme la cuisine s'adapte aux variations climatiques ! La question qui se pose à nous est donc de savoir comment pratiquer la religion ici et maintenant. Au fil des ans, l'énergie originelle des religions s'affaiblit. Il n'est donc pas étonnant que de nombreux fidèles ne voient plus que le mauvais visage des grandes Traditions, et qu'ils le déplorent. Pourtant, cette même recherche de la vérité inhérente à la nature humaine les pousse à trouver de nouvelles formes d'expérience. Ils cherchent la vérité ? A nous de savoir la leur montrer.

Récemment, un taxi me ramenait de la gare de Nagoya au monastère. Le chauffeur était intrigué en me voyant « Etes-vous nonne ?»

Oui, lui ai-je répondu, mais ce n'est pas un métier, un gagne-pain. Chaque être humain recherche un idéal de vie. Moi aussi, je cherche la meilleure manière de vivre. Et c'est pour cela que je suis devenue nonne. » Le chauffeur m'a alors apostrophée « Je ne crois pas dans les inventions du bouddhisme, je déteste cette religion, qui est une simple invention humaine. » Je lui ai simplement répondu que la religion provient de l'effort humain, de cet effort de recherche de la vérité. Le bouddhisme, en effet, provient de l'expérience humaine. « Justement, m'a confié de conducteur du taxi, mon père est chef de temple à Hokkaido, dans le nord du pays. » Mais si les pères ne vivent pas dans la vérité, comment leurs enfants peuvent-ils la découvrir

Faut-il alors réformer le zen, le rajeunir?

Avant la mort du Bouddha, un de ses disciples lui a demandé comment seraient les bouddhistes, dans le futur. Bouddha lui a répondu qu'il y aurait quatre sortes de personnes : celles qui sont capables à la fois de pratiquer et d'enseigner, celles qui savent expliquer la voie, celles qui ne peuvent que pratiquer et celles qui obscurciraient la voie. A nous de nous demander et pas de demander aux autres, auquel de ces quatre types de bouddhisme nous nous rattachons. Quand nous regardons le bouddhisme japonais, je préfère ne pas en parler... Beaucoup n'ont recours au bouddhisme que pour satisfaire leurs propres fins. Comme des enfants. Peu de moines vivent vraiment le bouddhisme. Alors, comment le grand public pourrait-il comprendre ce que sont vraiment les enseignements du Bouddha ? Certains moines doivent comprendre qu'en détruisant le bouddhisme authentique ils se détruisent eux-mêmes. Nous devons nous efforcer de faire jaillir le bouddhisme de nous-mêmes, utiliser les outils du bouddhisme pour que la vérité sorte de nous-mêmes.

L'histoire du bouddhisme, et celle du chan, puis du zen, est celle d'un long déplacement vers l'Est. Disparu de l'Inde, il a survécu en Chine. Quasiment effacé en Chine, il s'est transmis au Japon. Depuis une trentaine d'années, il a franchi le Pacifique, et se répand aux Etats-Unis. En Europe même, il prospère. Un grand maître comme Moriyama Roshi a décidé de s'exiler au Brésil. Comment voyez-vous cette nouvelle migration de la méditation ?

Que le zen soit pratiqué au Japon ou en Occident m'est parfaitement égal. La vérité ne dépend pas du lieu ou elle est pratiquée. Nous devons apprendre les uns des autres. Cela dit, au Japon aussi, nombreuses sont les personnes qui recherchent la vérité. Hier une soixantaine de laïcs de tout le Japon sont venus ici même, pour participer à une seshin, une session de méditation. Beaucoup cherchent. Mais notre bouddhisme n'est pas capable de leur montrer la voie. Le rejet dont le christianisme fait l'objet en Occident, et la désaffection que subit le bouddhisme au Japon s'explique par la longueur de leur histoire. Nous sommes prisonniers de cette histoire qui ne peut que nous plonger dans la confusion.

De nombreux pays bouddhistes refusent aux femmes l'accès à la vie monastique. Au Japon, les nonnes ont longtemps été reléguées au second plan. Et aujourd'hui?

Cette question intéresse beaucoup les Occidentaux, au point que, récemment encore, quelqu'un m'a contactée depuis le Vatican pour avoir des renseignements sur ce point Le Bouddha n'a pas accepté les nonnes toute de suite. Orphelin (sa mère est morte une semaine après sa naissance), il a été élevé par sa tante. Celle-ci était âgée d'environ quatre-vingts ans quand elle lui a demandé d'accepter qu'elle prononce les voeux religieux. Sa femme lui a présenté la même demande, et de nombreux membres féminins de son entourage ont formulé la même requête. Mais le Bouddha avait peur du désordre que cela pourrait provoquer dans le sangha, la communauté. Jusqu'au moment où Ananda, son principal disciple, a pris la parole et rappelé que sans femmes nous n'existerions pas, et que nous ne pourrions donc pas pratiquer et connaître l'Eveil.

Bouddha a alors accepté que les femmes entrent dans la vie monastique comme les hommes. Mais il a posé huit conditions. Celles-ci font que la pratique est plus exigeante pour les femmes que pour les hommes. Du moins nous semblent-elles ainsi aujourd'hui. Peut-être, dans le contexte de l'époque, avaient-elles pour but de protéger les femmes.

Au XIIIème siècle, maître Dôgen a clairement affirmé qu'il n'existe pas de différence entre hommes et femmes du point de vue de la pratique et de l'Eveil. Le problème n'est pas le sexe, mais la compréhension du dharma. En face d'une femme qui a atteint l'Eveil, un homme doit s'incliner. Le plus important est la lutte que nous devons mener pour comprendre la vérité, hommes comme femmes.

Une femme pourrait-elle être chef de l'école Sôtô?

La hiérarchie, les positions officielles me paraissent bien peu importantes. Les enseignements de  Dogen concernent le dharma et pas l'organisation de notre école, pas nos institutions. L'inégalité entre hommes et femmes dans le bouddhisme japonais jusque dans les années 70 provient de la culture nationale. Elle n'est pas inhérente au Bouddhisme. Au contraire, elle contredit clairement les enseignements de Dogen.

Quand je suis devenue religieuse, les nonnes ne pouvaient être ni chef de temple, ni avoir des disciples, ni enseigner. Ici même, à Nagoya, le temple était placé sous la responsabilité d'un homme. Mais les femmes se sont battues contre ce poids culturel durant un siècle, depuis l'époque Meiji. Aujourd'hui, les femmes sont les meilleurs moines Car, au fil des siècles, les monastères féminins sont restés à l'écart des vicissitudes politiques et des aléas de l'histoire qui ont fait dévier le bouddhisme japonais. Ce statut à part, moins exposé, nous a permis de rester plus fidèles aux enseignements du zen, tel que le prônait maître Dôgen.

Aoyama Roshi - Maitre zen

Shundo Aoyama est née en 1933 dans la province d'Aichi, dont la préfecture est Nagoya, à quelques centaines de kilomètres au sud de Tokyo. Considérée par sa mère comme un cadeau du Bouddha, elle intègre dès l'âge de cinq ans le temple de Muryo-ji où elle reçoit une éducation religieuse. Ordonnée nonne à l'âge de quinze ans, elle fait son entraînement de novice au monastère de l'Aichi Semmon Nisodo, à Nagoya, puis ses études supérieures à l'Université bouddhique de Komazawa. Elle commence ensuite sa carrière d'enseignante, donnant des conférences et dirigeant des sesshin (périodes de pratique intensive). Elle participe également à des entretiens et des sesshin avec d'autres maîtres éminents du zen, en particulier de la lignée de succession de Maître Kodo Sawaki, avec lesquels elle confronte sa compréhension et son expérience.

Très vite elle est reconnue comme un grand maître zen. En 1976, elle est nommée abbesse de l'Aichi Semmon Nisodo - "Monastère de noviciat pour les nonnes du Soto zen de la préfecture d'Aichi" -, monastère de formation pour les nonnes zen, fondé en 1903 et suivant les règles de vie quotidienne de Dogen Zenji et Keizan Zenji, les fondateurs du Soto zen au Japon. Depuis 1984, elle est aussi responsable des temples de Seiho-ji et Muryo-ji, et réside tantôt dans l'un, tantôt dans l'autre, veillant personnellement à la formation des nonnes dont certaines sont devenues ses disciples et ont reçu sa transmission du Dharma.

Experte dans les trois Arts fondamentaux japonais (kado, la voie de l'ornement des fleurs, chado, la voie du thé, sodo, la voie de la calligraphie), elle les enseigne en particulier aux laïques, ce qui lui permet de prêter une oreille attentive à leurs problèmes personnels et familiaux.

Bien qu'ayant personnellement toujours vécu une vie traditionnelle de nonne zen, elle est très sensible aux difficultés des femmes et des hommes de son temps. Ainsi elle s'est fait également connaître du grand public et des médias (journaux et télévision). Maître zen, imprégnée de la civilisation japonaise dans ce qu'elle a de meilleur, mais également femme de son temps et de grande culture, elle est l'auteur d'une dizaine d'ouvrages.

Aoyama Roshi - abbesse zen soto


Les 40 ans d'implantation du Zen Soto en Europe
envoyé par sakiamuni. - L'actualité du moment en vidéo.

interview de Ayoama Roshi lors de la célébration des 40 ans d'implantation du zen en Europe