Toute communauté a besoin d’un guide et, au Village des Pruniers, dans chacun des trois hameaux, ce guide est l’abbé ou l’abbesse. A Loubès-Bernac, au monastère des nonnes, la mère abbesse s’appelle Gina.
Si on devait, en un seul mot, définir l’impression que produit cette jeune femme au premier regard, le mot le plus adéquat serait sans doute "calme" ou peut-être "équanimité" . Tout en elle est mesuré, ses gestes, sa façon de marcher, de parler, comme si elle était en permanence habitée par cette Pleine Conscience à laquelle, ici, tous aspirent. Le fait d’être abbesse ne la dispense pas de participer aux travaux communs, à la cuisine, à la vaisselle ou au jardin. Elle aime par-dessus tout, dit-elle, à repiquer des plants de salade et elle connaît bien les subtilités du jardinage biologique. Elle habite ici mais elle voyage aussi beaucoup. Lorsque nous l’avons rencontrée, elle revenait d’Allemagne et, lors de notre prochain passage aux Pruniers, elle était en Israël où elle conduisait des retraites. Ce pays a tellement besoin de paix que, deux fois par an, la communauté y organise des retraites qui sont de plus en plus suivies et qui s’adressent aussi bien aux Palestiniens qu’aux Israéliens.
Soeur Gina est heureuse ici, elle le dit et cela se voit. On voit aussi que cette femme en apparence si calme est une passionnée. C’est sans doute pour cela que son témoignage est tout particulièrement vivant. Il s’agit d’un de ces témoignages qui méritent d’être transcrit d’un bout à l’autre.
" Quand j’avais sept ans, se souvient-elle, je voulais déjà être religieuse. Soeur catholique car, en ce temps-là, je ne connaissais pas autre chose. Ma mère était Irlandaise, mon père Hollandais et nous vivions aux Pays-Bas.
Le dimanche matin, lorsque nous voulions aller à la piscine, ma mère nous disait : "Allez-y. Moi je vais à l’église pour tout le monde : Elle ne disait pas cela pour nous faire des reproches ou nous culpabiliser. Sans le savoir, elle vivait déjà l’inter-être que nous essayons de pratiquer ici. Elle nous disait toujours que nous devrions aimer nos voisins comme nous-mêmes. C’était une vraie chrétienne qui nous a appris à aimer au lieu de nous demander d’aller à l’église tous les dimanches.
Donc je voulais être soeur mais lorsque j’ai eu douze ans, j’ai commencé à regarder autour de moi et j’ai constaté que les prêtres, les religieux et les religieuses de l’Eglise catholique ne vivaient pas vraiment la vie à laquelle j’aspirais. J’avais déjà une foi exigeante. Je ne me sentais jamais seule parce que Dieu était toujours à mes côtés, surtout lors des interminables promenades que je faisais dans les forêts des alentours.
Un jour, au catéchisme, la maîtresse nous a demandé de décrire Dieu. Mon tour venu, j’ai dit : "Mais je ne peux pas décrire Dieu ! Il me faudrait décrire tout l’univers et je n’ai pas assez de mots pour cela : la maîtresse a affirmé que je n’étais pas une bonne catholique.
Donc, depuis mon enfance, je sentais vraiment cette Présence sans pouvoir, bien sûr, l’expliquer. Nombreux sont les enfants qui font cette expérience. Je voyais ma mère faire du yoga et de la méditation et je me disais : Au fond, c’est cela que je cherche."
Avec de telles dispositions, il n’est pas étonnant qu’au sortir de l’adolescence, Gina ait été attirée par un maître qui enseignait, en même temps la méditation, la prière chrétiennes et la méditation hindouiste avec les mantras et la méditation zen. C’est ce maître qui lui a dit un jour :
"Au Japon, il y a des maîtres qui font de la méditation et qui ne pensent même pas."
" Qui ne pensent même pas. . . " Cette phrase, dit-elle, a été pour elle la phrase-clé. Depuis longtemps déjà, elle souffrait de terribles migraines et elle avait remarqué que celles-ci s’amélioraient si elle parvenait à s’arrêter de penser. S’il était vrai que des moines japonais parvenaient à ne plus penser, alors il lui fallait se mettre à leur école.
La vie avance vite et elle avait déjà vingt-sept ans lorsqu’elle est allée au Japon pour la première fois. Elle a été éblouie par ce premier séjour. "Je suis allée dans plusieurs monastères. Pratiquer la méditation avec des moines dans un monastère qui avait huit cents ans, être là et sentir l’énergie générée pendant ces huit cents années. . . Je me sentais tellement portée par cette énergie qu’il me suffisait de m’asseoir sur un coussin pour entrer aussitôt en méditation."
Elle va revenir et revenir encore. " En 1985, se souvient-elle, je me suis trouvée dans un petit temple en pleine montagne. le maître avait soixante-treize ans et j’ai réalisé que j’avais en lui une confiance absolue. Après trois ou quatre jours, je lui ai demandé s’il voulait m’accepter comme disciple et il a dit oui. Je suis restée trois ans auprès de lui et, petit à petit, j’ai compris beaucoup de choses. C’était la contemplation que je cherchais et, si ma vie s’était organisée d’une manière différente, sans doute aurais-je pu la trouver chez les bénédictines ou les cisterciennes.
Au bout de ces trois ans, pour des problèmes de visa, elle doit quitter le Japon. En passant par Taïwan, elle rencontre un maître qui lui demande ce qu’elle a appris au Japon. "En y arrivant, répondit-elle, je croyais que je savais quelque chose. Aujourd’hui, je sais que je ne sais rien." Peu après, elle découvre le Village des Pruniers. Elle y arrive pour une retraite de vingt et un jours et elle y est encore dix ans plus tard. Au début, pour rester auprès de Thich Nhat Hanh, il lui a fallu l’autorisation de son maître japonais. Elle est allée la lui demander au Japon. Il était à l’hôpital.
"Lorsque je suis entrée dans sa chambre, il m’a aussitôt demandé : "Est-ce que tu peux maintenant transmettre les cinq entraînements à la Pleine Conscience ?" J’ai répondu oui et il m’a dit : "Bon, d’accord, buvons du thé : Il a compris que j’étais prête et il a accepté que quelqu’un d’autre m’ait donné cette transmission. J’en ai été très touchée.
"Il est mort en 1997. J’étais absente des Pruniers et on na pas pu m’atteindre, si bien que je n’ai pas pu aller à ses obsèques. Au bout de quarante-neuf jours, il y a une grande célébration. J’aurais aimé y aller, mais c’était en pleine retraite d’hiver, l’époque où l'on ne sort pas du monastère. J’ai donc demandé à Thây si nous pouvions faire une cérémonie ici et il a dit oui. Il y avait un autel sur lequel on a placé la photo de mon maître et une commémoration que Thây avait écrite en chinois. Il m’a demandé de le suivre, il est allé jusqu’à l’autel et il a touché la terre trois fois. J’ai été très émue et j’ai compris que mon maître japonais était à cent pour cent d’accord pour que je place ma vie spirituelle entre les mains de Thây."
Elle est donc abbesse aujourd’hui après ce long parcours et quand on lui demande ce que cela signifie pour elle, elle prend un long moment de réflexion avant de répondre :
"C’est différent pour chacun. Pour moi, ce qui me concerne le plus, plus que les études par exemple, c’est la vie communautaire. C’est une pratique de chaque minute car, chaque minute, je dois faire face à la capacité d’aimer que j’ai ou qui me manque. Je sens, je sais si je l’ai ou si je ne l’ai pas et je sais que mon chemin, c’est de l’avoir."
"Pour moi, j’ai remarqué que vivre pleinement est une sorte d’habitude. Par exemple, je sais si je suis tout à fait présente ou non. De temps en temps, je me rends compte que je ne le suis pas et, quand cela m’arrive, je me dis "Reviens !" et je reviens et reviens encore autant de fois que c’est nécessaire. Lorsque je ne suis pas dans le présent, je peux choisir : ou bien je reste dans le monde du rêve, là où mon corps n’est pas, ou bien je décide de revenir et je me rends compte qu’avec un peu d’entraînement, cela devient de plus en plus facile. Je reste plus longtemps consciente et mon esprit devient de plus en plus léger. Cela m’arrive surtout au cours des journées de paresse. "
Source : Extrait Article Buddhaline
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire