J'étais invitée par les religieuses à aller
voir leur ermitage à Nam-Dzong (la Forteresse du ciel). Je m'y rendis, le lama
prêtant des animaux. Un jour de marche, route avec des pentes excessivement
raides, mais pas mauvaises. La « Forteresse du ciel » justifie bien son nom.
C'est un endroit très pittoresque environné de monts en aiguille, de couleur
rouge sombre. Des pins embellissent le paysage. Il y a là une fort belle gômpa
construite par le défunt lama que celui « des neuf vallées est censé réincarner.
Les peintures à l'intérieur sont des plus intéressantes. C'est un monastère de
la secte rouge et un monastère sans religieux. Ceux qui s'y rattachent sont des
nags-pa aux longs cheveux, mariés pour la plupart et vivant dans leur famille,
quelques rares individus parmi eux se retirant seuls en des ermitages. Ce
temple possède une bibliothèque magnifique, mais les beaux volumes enveloppés
de riches couvertures de brocart demeurent sans lecteurs. Tout à côté du
temple, le lama a fait construire une sorte de palais chinois qui, quoique
n'étant pas encore achevé, tombe déjà en ruine en maints endroits. C'est là que
j'ai logé. Il y a aussi un monastère de la secte jaune et, enfin, assez loin de
là, sur une autre montagne, la demeure très simple d'une quarantaine de nonnes
jeunes et vieilles.
Ces femmes ont été charmantes et désirent
vivement que je vienne m'installer pour quelques mois chez elles. Ce serait
agréable n'était la difficulté de se ravitailler. Un jour, la majorité des
religieuses et moi, nous nous sommes hissées sur l'une des aiguilles où il y a
deux petits temples. Ascension périlleuse le long de rochers perpendiculaires
minuscules. Les bonnes montagnardes m'ont poussée, tirée, presque portée si
bien qu'en dépit de mon pied, toujours douloureux, j'ai accompli
cette excursion sans trop de peine. Ces femmes sont extrêmement gaies et
rieuses. Certaines ont voyagé à pied à travers tout le Tibet. Aphur, seul
garçon de notre bande, a égayé tout le monde en chantant et débitant des
facéties.
J'ai aussi à Nam-Dzong fait la connaissance
d'une naldjorma, c'est-à-dire d'une femme qui suit le système mystique que les
hindous appellent yoga. Le lama avec qui je suis venue de Pékin la tient en
haute estime et lui a confié l'éducation de sa fille cadette qui doit devenir
religieuse.
Cette femme est fort intelligente et pas mal
instruite en littérature tibétaine. Son maître, dont elle est devenue la femme,
suivant une coutume assez suivie par ceux de sa secte, est aujourd'hui un
vieillard de 75 ans ; elle-même est âgée de 50 ans. Elle m'a prêté
plusieurs manuscrits que je vais faire copier. Je l'ai invitée à venir passer
quelque temps avec moi à Kum-Bum, mais son vieux mari a besoin de ses soins.
Ce sont des gens très, très pauvres. Je suppose
que le lama, père de la fillette, leur envoie des provisions maintenant que
celle-ci vit chez eux, mais la bonne dame elle-même n'a qu'une jupe et un
caraco de coton sur elle. Elle paraît très désintéressée, ayant reçu un tout
petit présent en argent de moi, elle m'a aussitôt apporté une énorme motte de
beurre frais qui valait à peu près ce qu'elle avait reçu.
Toujours un plaisir de relire ses textes !
RépondreSupprimermerci