BOUDDHISME Aux sources de
l’extrémisme -
Deux articles indiens et thailandais publiés par le courrier International
Cette religion est généralement
associée à la non-violence. Pourtant, de la Birmanie à la Thaïlande, en passant
par le Sri Lanka, des moines et des groupes religieux prennent les armes et
attaquent des musulmans, vandalisent leurs commerces, brûlent les mosquées.
Epicentre du phénomène : l’ouest de la Birmanie, où tout a commencé, en juin 2012. Depuis, les
représailles se multiplient dans les pays de la région, où musulmans et
bouddhistes se côtoient depuis des siècles. Partout, les raisons sont locales,
liées à l’histoire des communautés, à des considérations politiques et à la
pauvreté. Le phénomène touche désormais l’Inde, où dix bombes
ont explosé à Bodh-Gaya, lieu saint du bouddhisme. La presse régionale donne
quelques clés pour comprendre cette flambée de violence.
Inde – Une déferlante islamophobe
L’Inde
s’inquiète des répercussions humanitaires et sécuritaires des attentats qui ont
frappé le sanctuaire bouddhiste de Bodh-Gaya.
C’est la paix
qui règne à Bodh-Gaya [lieu sacré du bouddhisme aujourd’hui dans l’Etat indien
du Bihar] qui a permis à Bouddha d’atteindre l’éveil. Ses disciples y affluent
du monde entier chaque année par millions. Cette paix a été rompue et le temple
défiguré par l’explosion de dix bombes de faible puissance qui ont blessé deux
moines. Trois autres engins ont heureusement été désamorcés. Qui aurait pensé
que ce sanctuaire serait un jour ensanglanté par la violence ? C’est
pourtant ce qui s'est passé tôt le
matin du dimanche 7 juillet.
Le bouddhisme repose sur la non-violence, mais le fondement spirituel de
leur religion n'a manifestement pas empêché des bouddhistes de devenir
violents. Ni ces derniers temps ni par le passé. Les sinistres Khmers rouges
ont fait leur apparition dans un milieu bouddhiste. Pol Pot avait été moine bouddhiste dans sa jeunesse. Et ce n'est pas la première fois en Birmanie que des moines approuvent
la violence en tant que tactique. Au Sri Lanka également, les liens entre la
violence et le bouddhisme remontent loin dans l'histoire.
Pour le cinéaste tibétain Pema Dondhup Gakyil,
les bouddhistes sont tout simplement des personnes comme les autres. Son film
de 2004 We're No Monks [Nous ne sommes pas des moines] remet en cause le
stéréotype du bouddhiste non violent. "La
question que pose mon film, c'est : combien de temps quelqu'un peut-il
rester patient ?" explique-t-il. La patience est une chose qui
commence à manquer également dans le royaume bouddhiste de Thaïlande.
L'insurrection musulmane dans le sud du pays a fait 5 000 morts depuis 2004. Certains bouddhistes
de la région, y compris des moines, ont pris les armes et formé des milices
pour se défendre.
Pas de scrupules.
Beaucoup essaient encore de comprendre pourquoi
le bouddhisme, une religion généralement associée à la non-violence, a été pris
pour cible à Bodh-Gaya. L'explication de ces attentats se trouve peut-être dans
le voisinage de l'Inde, à deux mille
kilomètres à peine, en Birmanie. Là-bas, une nouvelle forme de
bouddhisme se répand, forçant les musulmans à s'enfuir pour se protéger. Pour ses adeptes, être birman, c'est être
bouddhiste. Ils préfèrent s'armer de machettes que de prières. Ils n'hésitent
pas à battre des musulmans à mort. Et n'ont aucun scrupule à incendier leurs
maisons. C'est un conflit qui a de quoi
inquiéter l'Inde. Non seulement il
crée une situation qui pourrait
conduire l'Inde à faire face à un afflux de réfugiés musulmans
rohingyas, mais il est à craindre que les
choses ne s'enveniment également dans notre pays. Les enquêteurs indiens
chargés de l'attentat du 7 juillet à Bodh-Gaya n'écartent pas la possibilité
qu'il ait été commis par des groupes islamistes extrémistes en représailles aux violences islamophobes en
Birmanie. Si l'on peut mettre en doute cette thèse par trop rebattue, on ne peut nier que le conflit qui déchire la Birmanie soit
très grave.
La piste d'une connexion pakistanaise est
également explorée, en raison des efforts déployés par le Pakistan dans les
forums internationaux (comme les sommets de l'Organisation de la coopération
islamique) pour attirer l'attention sur la
situation critique des Rohingyas. Un
attentat comme celui de Bodh-Gaya
peut en effet pousser la communauté
internationale à s'intéresser à cette
communauté musulmane, et en même temps,
créer une nouvelle instabilité et de nouvelles
dissensions dans la société indienne. Par
ailleurs, le gouvernement indien est aussi préoccupé par le bouddhisme extrémiste au Sri Lanka, où les tensions entre la communauté majoritaire et la minorité musulmane sont également exacerbées. A la différence de ce qui se passe en Birmanie, où le gouvernement
donne au moins l'impression d'essayer de
limiter les violences islamo-phobes,
les extrémistes bouddhistes du Sri Lanka
bénéficient du soutien de certaines personnalités
politiques de premier plan. Mais
l'ancien ministre [indien] des Affaires étrangères Kanwal Sibal ne croit pas à une montée généralisée de l'extrémisme bouddhiste. "A la différence de l'islam, le
bouddhisme extrémiste n'a pas
de composante pan-bouddhiste", explique-t-il.
Pour Gyana Ratna, maître
de conférences à l'université de Chittagong [au Bangladesh], ces
divers conflits sont alimentés principalement par des facteurs non
religieux, tels que l'insuffisance du développement économique.
Cela est particulièrement vrai en Birmanie, où la pauvreté est
omniprésente et où des griefs économiques ont déclenché le
conflit. L'une des principales explosions de violence islamophobe
est partie d'une dispute sur le prix d'un bijou dans une boutique
appartenant à un musulman. Pour revenir
en Inde, plusieurs agressions de bouddhistes
par des islamistes ont été rapportées à
Chittagong. Il en résulte un ressentiment croissant chez les jeunes bouddhistes, qui réfrènent leur envie de se venger davantage parce qu'ils sont minoritaires que parce qu'ils croient en la non-violence. "Je pense que
cette violence entre l'islam
et le bouddhisme cessera une fois que les facteurs locaux auront été traités", affirme Ratna, avant d'ajouter qu'il croise quand même les
doigts.
—Debarshi Dasgupta,
Pranay Sharma Publié
le 22 juillet - New Delhi - Source : Courrier International
MOINES ET MILITAIRES Aux sources de
l’extrémisme
Un groupe bouddhiste
extrémiste attise depuis un an les sentiments antimusulmans en Birmanie. Mais
l'antagonisme religieux a été instrumentalisé par la junte militaire depuis
1962.
—The Irrawaddy
(extraits) Chiang Mai
(Thaïlande) De Mawlamyine, Etat Mon
Ill est presque 20 heures à Mawlamyine, la capitale de l'Etat Mon,
dans le sud de la Birmanie. Le moine bouddhiste Wimala Biwuntha est sur le
point d'arriver au temple du quartier d'Aut Kyin pour prononcer un sermon. Sa
réputation d'orateur charismatique le précède: pourtant, seulement 100 personnes
sont rassemblées dans la salle principale et le même nombre, principalement des
enfants, à l'extérieur. Quelques minutes plus tard, Wimala Biwuntha apparaît.
Il commence son discours par une mise en garde inquiétante : "Nous, les bouddhistes, nous sommes comme les passagers d'un bateau en train de couler. Si
les choses ne changent pas, notre religion va bientôt disparaître. Le sermon de ce soir va porter sur 969."
Il fait une brève pause, puis demande : "De quoi va parler le
sermon de ce soir ?" "Du 969", répond l'audience. "De
quoi va-t-il parler ?" répète-t-il dans le microphone en haussant
la voix. "Du 969 !" "Plus fort
! Vous devez le dire plus fort ! Peu importe si vous faites tomber ce Dhamma Yone [salle destinée aux rassemblements
religieux], nous le reconstruirons !"
La scène évoque plus un meeting politique qu'un
sermon bouddhiste. Mais elle n'est pas surprenante : Wimala Biwuntha est connu
pour être un moine extrémiste et l'un des principaux défenseurs du 969, un mouvement
qui a beaucoup fait parler de lui ces derniers mois non seulement dans le pays,
mais dans le monde entier. Considéré comme un mouvement bouddhiste nationaliste
et extrémiste, il est lié aux récentes manifestations de violence islamophobe
qui ont secoué le centre du pays et dont beaucoup craignent qu'elles ne se
transforment en un conflit à l'échelle nationale. [Depuis juin 2012, diverses
émeutes antimusulmans ont secoué plusieurs régions du pays, faisant des
centaines de victimes.]
"Vous devez vous
rappeler que le 969 existe depuis deux mille six cents ans, poursuit-il d'une voix
tonitruante. Le christianisme est né six cent vingt ans plus tard et l'islam
plus de mille ans après. " [L'appelation 969 fait référence aux neuf
attributs du Bouddha, aux six attributs de son enseignement et aux neuf
attributs de la communauté des moines, appelée Sangha. Les Birmans sont friands
de numérologie.] Il reconnaît cependant que son mouvement jouit d'une notoriété
récente. "Certains me demandent : 'Est-ce
légal ?' Je ne sais même pas comment répondre à cette question. Le Bouddha
est-il légal ? Nous, les
moines, nous sommes légaux, n'est-ce pas ?"
Boycott.
Il affirme que 969 est
non violent et repose uniquement sur le boycott des commerces appartenant aux
musulmans et portant le nombre 786, utilisé en Birmanie pour signaler les
boutiques et les restaurants halal [en numérologie, ce nombre représente une
phrase du Coran].
"Nous n'avons jamais parlé de frapper ou de
tuer les gens d'autres religions, insiste-t-il. Le Bouddha nous a appris qu'il
ne fallait tuer aucune créature vivante, et encore moins les personnes ou les membres d'autres religions." Si
ces paroles devaient rassurer les musulmans, qui constituent approximativement
la moitié de la population du quartier, elles ont échoué.
Les musulmans ne sont pas les seuls à trouver
inquiétante la façon dont le mouvement 969 cherche à instiller dans le cœur des bouddhistes la peur d'une prétendue
conspiration musulmane afin de chasser l'islam du pays, où il s'est solidement
enraciné depuis le rxe siècle..
"On aurait cru entendre Hitler", n'a pas hésité à dire Htun Than, un bouddhiste
de 57 ans, ancien candidat aux élections de 1990, après avoir entendu le
sermon. "Si son groupe devient plus fort, ce sera un gros problème. " Kyaw Kyaw, une autre personnalité politique locale appartenant au
principal parti d'opposition, partage son avis.
"Vous avez entendu la rengaine : 'Nous ne devons pas rester
immobiles. Si nous restons immobiles, notre religion disparaîtra.' Que
veut-il dire par là ? Ils ne font que
perturber les gens. Cela doit cesser."
Kyaw Kyaw rappelle que le mouvement ultra
bouddhiste est né en 1997 avec la publication d'un opuscule de quarante pages
intitulé 96g à Mawlamyine, une ville connue depuis toujours comme un
centre important du bouddhisme birman. Ce court manifeste invitait les
bouddhistes à arborer le nombre 969 sur la porte de leur maison, la devanture
de leur commerce ou le pare-brise de leur voiture. Il ne critiquait aucunement
les autres religions, mais appelait simplement les croyants à bien se conduire
et à s'entraider.
Quelques années plus tard, une autre brochure
porteuse d'un message ouvertement antimusulman commença à circuler. Elle
insistait toujours sur la nécessité d'avoir une conduite irréprochable, mais
certaines de ses dix-sept recommandations pour protéger le bouddhisme
encourageaient la discrimination active à l'égard des musulmans. Ce texte, dont
la publication n'a jamais été autorisée, disait que les bouddhistes devaient
employer la stratégie des "trois ruptures" avec les musulmans
: il fallait rompre les liens commerciaux, empêcher les mariages mixtes et
cesser toute relation sociale avec eux, y compris les conversations anodines.
Mais elle n'allait pas jusqu'à conseiller la violence.
Le mouvement 969 est peut-être un phénomène
relativement récent, mais l'intolérance n'a malheureusement rien de nouveau
dans le pays. Si la religion est parfois considérée comme un facteur
contribuant à ce problème, beaucoup d'observateurs regardent plutôt ailleurs,
vers les politiques de l'Etat qui exploitent depuis longtemps les différences
religieuses et ethniques pour conforter l'emprise des militaires sur le pouvoir. "Le vrai coupable est Ne Win, pas
le 969 ", affirme Htun Than, le politicien qui s'est présenté
aux élections en 1990.
Discrétion d'AungSan Suu Kyi.
Il rappelle que les musulmans ont été traités sur
un pied d'égalité en Birmanie jusqu'à ce que le général Ne Win s'empare du
pouvoir, en 1962, avec un coup d'Etat sanglant, inaugurant ainsi un demi-siècle
de dictature militaire. Htun Aung accuse pour sa part les politiques menées par
l'ancien parti au pouvoir, le Parti du
programme socialiste birman (PPSB) [émanation de la junte au pouvoir], d'avoir attisé la méfiance entre les différentes
communautés religieuses. "Le PPSB a fait de la discrimination fondée sur la religion une politique officielle et a contraint les musulmans à
compter de plus en plus les uns sur les autres pour se soutenir", explique-t-il. Cela, ajoute-t-il, a
engendré un ressentiment croissant parmi les bouddhistes, qui ont fini par voir
les musulmans comme des gens différents. Après la vague de violence islamophobe,
le président Thein Sein a promis de protéger les droits des musulmans. Mais,
pour Myint Lwin, professeur à la mosquée Moree de Mawlamyine, la position du
gouvernement sur le sujet est loin d'être claire. Lorsque je lui ai demandé
s'il avait été déçu que la présidente de la Ligue nationale pour la démocratie
et lauréate du prix Nobel de la paix, Aung San Suu Kyi, ne se soit pas exprimée
davantage sur les violences contre les
musulmans, il a répondu qu'il était probablement mieux qu'elle n'ait pas
pris leur défense. "Nous voulons
qu'elle en dise le moins possible sur
le sujet. Mais nous savons qu'elle est triste pour nous", explique-t-il.
Il est persuadé que la situation s'améliorerait si Mme Aung San Suu
Kyi était élue à la présidence.
En attendant, les musulmans de Birmanie se préparent à subir d'autres
violences.
—KyawZwa Moe
Publié le 22 juin - Source Courrier International
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