dimanche 8 novembre 2015

1 – Les femmes luttent pour la planete : Vandana Shiva, le climat, la biodiversité et les OGM

La Dr. Vandana Shiva est physicienne, écologiste et militante écologiste. Elle est la directrice fondatrice de la Fondation de recherche pour la science, la technologie et l’écologie en Inde et est l’une des leaders du Forum international sur la mondialisation.


Vandana Shiva (née à Dehradun, Uttaranchal, Inde, le 5 novembre 1952) est une physicienne, épistémologue, écologiste, écrivain, docteur en philosophie des sciences et féministe indienne. 
 

Elle est une des chefs de file des écologistes de terrain et des altermondialistes au niveau mondial, notamment pour la défense de l'agriculture paysanne et biologique face à la politique d'expansion sans limite des multinationales agro-alimentaires et aux effets pervers du génie génétique. 


Elle lutte contre le brevetage du vivant et la biopiraterie, c'est-à-dire l'appropriation par les firmes agro-chimiques transnationales des ressources universelles, notamment les semences.

Dès les années 80, elle a été très active dans le « Narmada Bachao Andolan » (Mouvement Sauvons le Narmada) qui s'oppose à la construction d'énormes barrages sur la rivière Narmada, barrages bouleversant les écosystèmes et obligeant aux déplacements de millions de paysans pauvres.

Vandana Shiva a fondé l'association « Navdanya », association pour la conservation de la biodiversité et la protection des droits des fermiers. 


La ferme de Navdanya est une banque de semences modèles, qui a permis à plus de 10 000 fermiers d'Inde, du Pakistan, du Tibet, du Népal et du Bangladesh de redécouvrir l'agriculture « organique » comme on le dit en Inde (principe entre l'agriculture paysanne et l'agriculture biologique).

Parfois qualifiée de « José Bové en sari », elle partage de nombreux combats avec lui et a témoigné plusieurs fois en sa faveur, notamment lors du procès de Millau.

Vandana Shiva est récipiendaire du prix Nobel alternatif (1993).

Source : Bouddhisme au Féminin





Les femmes du Kerala contre Coca-Cola
par Vandana Shiva, mars 2005

Expulsé en 1977 par le gouvernement, Coca-Cola a repris pied en Inde le 23 octobre 1993, au moment même où Pepsi-Cola s’y implantait. Les deux entreprises possèdent 90 « usines d’embouteillage » qui sont en réalité... des « usines de pompage » : 52 unités appartiennent à Coca-Cola et 38 à Pepsi-Cola. Chacune extrait entre 1 million et 1,5 million de litres d’eau par jour.

En raison de leurs procédés de fabrication, ces boissons gazeuses présentent des risques. D’abord, parce que le pompage des nappes pratiqué par leurs usines dépouille les pauvres du droit à se fournir en eau potable. Ensuite, parce que ces usines rejettent des déchets toxiques qui menacent l’environnement et la santé. Enfin, parce que les sodas sont des boissons dangereuses – le Parlement indien a mis sur pied une commission mixte chargée d’enquêter sur la présence de résidus de pesticides.

Pendant plus d’un an, des femmes des tribus de Plachimada, dans le district de Palaghat, au Kerala, ont organisé des sit-in pour protester contre l’assèchement des nappes phréatiques par Coca-Cola. « Les habitants, écrit Virender Kumar, journaliste au quotidien Mathrubhumi, portent sur la tête de lourdes charges d’eau potable qu’ils doivent aller chercher loin, pendant que des camions de boissons gazeuses sortent de l’usine Coca. Il faut 9 litres d’eau potable pour faire 1 litre de Coca.

Les femmes adivasies de Plachimada ont entamé leur mouvement peu après l’ouverture de l’usine Coca-Cola, dont la production devait atteindre, en mars 2000, 1 224 000 bouteilles de Coca-Cola, Fanta, Sprite, Limca, Thums Up, Kinley Soda et Maaza. Le panchayat local lui avait accordé sous conditions l’autorisation de puiser l’eau à l’aide de pompes motorisées. Mais la multinationale s’est mise à puiser, en toute illégalité, des millions de litres d’eau pure dans plus de six puits forés par ses soins et équipés de pompes électriques ultrapuissantes. Le niveau des nappes a terriblement baissé, passant de 45 mètres à 150 mètres de profondeur.

Non contente de voler l’eau de la collectivité, Coca-Cola a pollué le peu qu’il en restait, rejetant les eaux souillées dans les forages à sec creusés sur ses installations pour enfouir les déchets solides. Auparavant, l’entreprise déposait ses déchets en dehors, si bien qu’à la saison des pluies leur dissémination dans les rizières, les canaux et les puits constituait une menace des plus sérieuses pour la santé publique. Ce n’est plus le cas. Mais la contamination des sources aquifères n’en est pas moins réelle.

D’où l’assèchement de 260 puits, dont le forage avait été assuré par les autorités pour subvenir aux besoins en eau potable et à l’arrosage agricole. Dans cette région du Kerala, appelée « grenier à riz », les rendements agricoles ont diminué de 10 %. Et Coca-Cola, c’est le comble, redistribue ses déchets toxiques aux villageois sous forme d’engrais. Les tests ont pourtant montré que ceux-ci ont une forte teneur en cadmium et en plomb, substances cancérigènes.

Des représentants des tribus et des paysans ont donc également dénoncé la contamination des réserves aquifères et des sources, et les forages effectués à tort et à travers, qui ont gravement compromis les récoltes ; ils ont réclamé la protection des sources d’eau potable, des mares et des réservoirs, l’entretien des voies navigables et des canaux.
Sommé de s’expliquer, Coca-Cola a refusé de fournir au panchayat les explications demandées. Ce dernier lui a donc notifié la suppression de sa licence d’exploitation. La multinationale a essayé d’acheter le président, M. Anil Krishnan, en lui offrant 300 millions de roupies. En vain. Toutefois, si le panchayat lui a retiré son permis d’exploiter, le gouvernement du Kerala a continué à protéger l’entreprise. Il lui verse quelque 2 millions de roupies (36 000 euros) au titre de subvention à la politique industrielle régionale. Dans tous les Etats où ils ont des usines, Pepsi et Coca touchent des aides similaires, pour des boissons dont la valeur nutritionnelle est nulle, en comparaison des boissons indiennes (nimbu pani, lassi, panna, sattu...).
De plus en plus, l’industrie des boissons gazeuses utilise le sirop de maïs, à haute teneur en fructose. Non seulement cet édulcorant est néfaste pour la santé, mais la production de maïs sert déjà à la fabrication industrielle d’aliments pour le bétail. C’est autant de moins pour la consommation humaine, et, en réalité, cela prive les pauvres d’un produit de base essentiel, à bon marché. En outre, le remplacement d’édulcorants plus sains tirés de la canne à sucre, tels que le gur et le khandsari, lèse les paysans, à qui ces produits assuraient des moyens de subsistance. Bref, Coca-Cola et Pepsi-Cola ont sur la chaîne alimentaire et l’économie un impact énorme.

En 2003, les autorités sanitaires ont informé les habitants de Plachimada que la pollution de l’eau la rendait impropre à la consommation. Les femmes furent les premières à dénoncer cet « hydropiratage » lors d’un dharna (sit-in) devant les grilles de la compagnie.

Amorcé à l’initiative des femmes adivasies, le mouvement a déclenché une vague de soutien nationale et internationale. Sous la pression de ce mouvement de plus en plus puissant et en raison de la sécheresse venue encore aggraver la crise de l’eau, le chef du gouvernement du Kerala a enfin ordonné, le 17 février 2004, la fermeture de l’usine Coca-Cola. Les alliances arc-en-ciel forgées au départ entre les femmes de la région ont fini par mobiliser l’ensemble du panchayat. De son côté, celui de Perumatty (au Kerala) a déposé auprès du tribunal suprême de cet Etat une plainte contre la multinationale, au nom de l’intérêt public.

Le 16 décembre 2003, le juge Balakrishnana Nair a ordonné à Coca-Cola de cesser ses pompages pirates dans la nappe de Plachimada. Les attendus du jugement valent autant que la décision elle-même. En effet, le magistrat a notamment précisé : « La doctrine de la confiance publique repose avant tout sur le principe voulant que certaines ressources telles que l’air, l’eau de mer, les forêts ont pour la population dans son ensemble une si grande importance qu’il serait totalement injustifié d’en faire l’objet de la propriété privée. Lesdites ressources sont un don de la nature et devraient être gratuitement mises à la disposition de chacun, quelle que soit sa position sociale. »
Et le magistrat de poursuivre : « Puisque cette doctrine impose au gouvernement de protéger ces ressources de telle sorte que tout le monde puisse en profiter, il ne peut autoriser qu’elles soient utilisées par des propriétaires privés ou à des fins commerciales (...). Tous les citoyens sans exception sont les bénéficiaires des côtes, des cours d’eau, de l’air, des forêts, des terres fragiles d’un point de vue écologique. En tant qu’administrateur, l’Etat a de par la loi le devoir de protéger les ressources naturelles, ne peuvent être transférées à la propriété privée. » En clair : l’eau est un bien public. L’Etat et ses diverses administrations ont le devoir de protéger les nappes phréatiques contre une exploitation excessive, et, en la matière, leur inaction est une violation du droit à la vie garanti par l’article 21 de la Constitution indienne.

La Cour suprême a toujours affirmé que le droit de jouir d’une eau et d’un air non pollués faisait partie intégrante du droit à la vie défini dans cet article.
Même en l’absence d’une loi régissant l’utilisation des nappes phréatiques, le panchayat et l’Etat sont tenus de s’opposer à la surexploitation de ces réserves souterraines. Et le droit de propriété de Coca-Cola ne s’étend pas aux nappes situées sous les terres lui appartenant. Nul n’a le droit de s’en arroger une grande partie, et le gouvernement aucun pouvoir d’autoriser un tiers privé à extraire cette eau dans de telles quantités. D’où les deux ordres émis par le tribunal : Coca-Cola cessera de pomper l’eau pour son usage dans un délai d’un mois jour pour jour ; le panchayat et l’Etat s’assureront que, passer ce délai, la décision sera appliquée.

La révolte des femmes, cœur et âme du mouvement, a été relayée par des juristes, des parlementaires, des scientifiques, des écrivains... La lutte s’étend à d’autres régions où Coca et Pepsi pompent les réserves aquifères. A Jaipur, la capitale du Rajasthan, après l’ouverture de l’usine Coca-Cola, en 1999, le niveau des nappes est passé de 12 mètres de profondeur à 37,5 mètres. A Mehdiganj, une localité située à 20 kilomètres de la ville sainte de Varanasi (Bénarès), il s’est approfondi de 12 mètres, et les champs cultivés autour de l’usine sont désormais pollués.

A Singhchancher, un village du district de Ballia (dans l’est de l’Uttar Pradesh), l’unité de Coca-Cola a pollué eaux et terres. Partout la protestation s’organise. Mais, le plus souvent, les autorités publiques répondent aux manifestations par la violence. A Jaipur, le militant pacifiste Siddharaj Dodda a été arrêté en octobre 2004 pour avoir participé à une marche exigeant la fermeture de l’usine.

Source : Le Monde Diplomatique – mars 2005